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trouvai à Montréal un bateau à vapeur prêt à partir pour Québec. Je courus m’y installer au milieu d’un encombrement rappelant celui de l’arche de Noé. Sur le pont du steamer, les bœufs et les chevaux sont pressés les uns contre les autres, et l’on entasse des marchandises de toute sorte. Les passagers de seconde classe, qui payent la modique somme de quatre francs, se placent où ils peuvent. Au premier étage de notre bateau se trouve un vaste mais modeste salon, qui donne accès à un grand nombre de cabines. La nuit est tiède et embellie par un magnifique clair de lune ; aussi la curiosité me retient sur le pont pour mieux voir défiler les rives du Saint-Laurent, qui, en général, sont plates et couvertes de vastes forêts. La largeur de ce grand fleuve varie depuis un jusqu’à cinq kilomètres. Nous rencontrons plusieurs îles considérables, et nous traversons le lac Saint-Pierre, qui n’est autre chose qu’une expansion du Saint-Laurent. Quelques voyageurs descendent aux petits villages des Trois-Rivières et de Sainte-Anne.

Vers le milieu de la nuit, le ciel se couvre de nuages, le tonnerre gronde, et à chaque instant les éclairs, qui sillonnent la nuit, reflètent leurs lignes de feu sur les eaux du fleuve. Ce beau spectacle me dispose peu au sommeil ; aussi je prends part à la conversation de plusieurs Canadiens, qui habitent différents villages sur les bords de l’Ottawa. Ils emploient les tournures de phrases et les expressions usitées dans nos vieux auteurs français. On croirait entendre parler Rabelais ou Bonaventure des Périers. Les enfants des Canadiens apprennent l’anglais dans les écoles et le français dans leurs familles, car la plupart des récits de leurs foyers roulent sur le vieux pays de France.


Le Saint-Laurent. — Québec. — Les plaines d’Abraham. — Cascade de Montmorency. — Escalier des Géants. — Les émigrants. — Les Mille îles. — Le lac Ontario.

Nous sommes au 6 septembre : l’aube du jour éclaire les rives du Saint-Laurent. Nous longeons de hautes parois de rochers à pic, couronnés d’une végétation vigoureuse. çà et là, quelques arbustes plongent leurs racines dans les anfractuosités de ces murailles rocheuses et projettent leurs branchages au-dessus du fleuve. Dès huit heures du matin, nous apercevons le cap Diamant, immense rocher noirâtre, qui forme la base escarpée d’une vaste citadelle. En face de nous se présente Québec, qui fut, depuis sa fondation, en 1608, par Samuel Champlain, jusqu’en 1759, époque où elle tomba aux mains des Anglais, la capitale de la Nouvelle-France.

Le quartier commerçant de Québec couvre la rive du Saint-Laurent. Devant les quais sont mouillés de nombreux navires de commerce. Les maisons, qui semblent accrochées aux flancs du cap Diamant, s’étagent les unes au-dessus des autres, et s’élèvent ainsi jusqu’au plateau où l’on a bâti la haute ville. Son enceinte de fortifications se rattache à celle de la citadelle, construite en granit gris. Quelques clochers d’églises catholiques dépassent les toitures des maisons couvertes en feuilles d’étain, qui brillent au soleil. Québec, comme Montréal, semble une cité aux toits d’argent.

Après avoir rapidement parcouru les rues commerçantes, je commençai l’ascension de celles qui mènent à la ville haute. Heureusement on trouve des escaliers en bois, qui abrégent la montée. Après avoir traversé l’enceinte fortifiée, je trouvai des rues planes et régulières, qui sont peu communes à Québec. Les boutiques, bien approvisionnées de marchandises européennes, n’attirent l’attention des étrangers que par des ouvrages indiens et quelques beaux échantillons de fourrure. La cathédrale catholique est peu remarquable ; quant à la chambre du parlement, détruite dernièrement par un incendie, elle est remplacée provisoirement par la salle du théâtre. Je voulus voir une séance publique du parlement ; les députés, bien que sans uniforme, ont généralement une excellente tenue. Le président porte un costume analogue à celui de nos magistrats ; en face de lui, sur un coussin de velours, repose la masse d’armes d’Angleterre. J’entendis discuter une question vivement controversée ; les discours étant prononcés tour à tour en français ou en anglais, suivant que l’orateur s’exprimait plus facilement dans l’une de ces deux langues.

En sortant de la séance parlementaire, j’allai contempler, dans un jardin public, dont le site est admirable, l’obélisque élevé par les Canadiens à la double mémoire du marquis de Montcalm et du général anglais Wolf, qui tombèrent en face l’un de l’autre, à quelques pas de là, sur le plateau d’Abraham, dans la sanglante bataille qui décida de la possession définitive de Québec et du Canada. Après avoir longtemps rêvé à la destinée étrange de ces deux noms, si longtemps représentants d’intérêts hostiles et maintenant confondus dans une même vénération, j’allai parcourir la citadelle de Québec, qui doit à sa forte position le surnom de Gibraltar américain. Une des portes, celle de Saint-Louis, donne accès sur les plaines mêmes d’Abraham, dont le sol est formé d’un granit gris mêlé de quartz. De son point le plus élevé, on domine un admirable panorama : d’un côté, le Saint-Laurent serpente au pied de deux longues lignes de murailles rocheuses ; de l’autre côté, les montagnes, s’étageant les unes au-dessus des autres, semblent comme les immenses vagues d’une mer houleuse. Cette vue est une des plus belles que j’ai rencontrées en Amérique. Un vent froid et violent ne tarda

    joue l’arc-en-ciel, le pont suspendu qui joint le haut et bas Canada, le cours de la rivière au-dessous des chutes parsemé de belles îles boisées, et les lointaines montagnes Bleues qui séparent les eaux du Gatineau de celles de l’Ottawa, on jouit d’une des plus belles vues qu’on puisse admirer au monde.

    Ottawa est divisée, comme Québec, en deux parties, la haute et la basse ville, qui sont distantes d’environ un demi-mille. Dans l’intervalle commence le canal Rideau, qui a un beau pont de pierre formant une section de la rue qui unit les deux parties de la ville. Ottawa, déjà peuplée d’une vingtaine de mille âmes, est renommée pour son grand marché de bois de construction, dont la contrée abonde. Dans le voisinage, on trouve une pierre à chaux gris pâle, avec laquelle sont construits plusieurs édifices d’un bel aspect ; ils s’élèvent sur des rues larges et régulières.