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« Grâce aux sages et utiles leçons que vous nous avez fait donner, dans votre bienveillante sollicitude, nous sommes à même d’apprécier aujourd’hui les grandes choses que vous avez accomplies au Sénégal, dans l’intérêt de nos compatriotes. Chacun de nous se promet de s’inspirer de votre exemple et de vos conseils pour travailler de son mieux, lorsqu’il sera rentré dans son pays, à la continuation de l’œuvre que vous avez entreprise.

« Nous emporterons de Saint-Louis des idées de justice, d’ordre et de travail, que nous emploierons tous nos efforts à faire prévaloir chez les populations au milieu desquelles nous sommes appelés à vivre, n’importe dans quelle position. Ce sera, nous en sommes persuadés, monsieur le gouverneur, la meilleure manière de témoigner à la France, dont vous êtes le représentant, toute notre gratitude.

« Pour moi qui vais dès demain prendre, conformément à vos ordres, le commandement du cercle que vous m’avez confié dans le Oualo, je vous promets de mettre en œuvre, par tous les moyens en mon pouvoir, les principes qui m’ont été donnés, et j’espère être assez heureux pour témoigner de ma reconnaissance et de mon dévouement à la France, en faisant prospérer de plus en plus le pays dont vous m’avez nommé le chef. »

S’il n’entre pas dans notre cadre de suivre l’intrépide gouverneur dans toutes ses expéditions guerrières, nous ne pouvons nous dispenser pourtant de faire connaître ou de rappeler aux lecteurs du Tour du Monde deux d’entre elles : la délivrance du fort de Médine et la reconnaissance militaire des pays de Joal, Sine et Saloum ; tout autant, et plus peut-être qu’une relation de voyage, elles font pénétrer dans les mœurs intimes des populations et dans la situation réelle de la contrée que nous cherchons à faire connaître.


Siége et délivrance du fort de Médine.

En 1854 ou 55 un marabout du Fouta sénégalais, revenant d’un pèlerinage à la Mecque et à Médine d’où il rapportait le titre révéré d’Al-Hadji (le pèlerin), se demanda un beau matin pourquoi il ne jouerait pas sur les bords du Sénégal le rôle fructueux de successeur illuminé de Mohammed, que nous avons vu essayer vainement contre nous, en Algérie, et que le Soudan a vu jouer avec éclat, au commencement de ce siècle, par l’émir Danfodio à Sakoto, et par le cheikh Ahmadou, dans le bassin du Niger, entre Djenné et Tembouctou… Sa conscience ayant répondu affirmativement à cette question, Al-Hadji s’étaya de l’assentiment de ses esclaves, de ses alliés et de ses voisins, puis, dès qu’il eut réuni autour de lui un groupe suffisant d’adeptes, il se mit en campagne prêchant la guerre contre les Kaffirs (infidèles) dans tous les centres de population peuhle, et promettant, le texte du Coran à la main, les biens de ce monde à ceux qui le suivraient, et les délices du paradis de Mohammed à ceux qui succomberaient dans la lutte. Pour être peu nouvelles, ces promesses n’en eurent pas moins leur effet sur les mauvaises passions auxquelles elles faisaient appel. Des forêts du Fouta, des vallons du Dialon, des gorges solitaires du Fouladou et du Djalonka accoururent autour du prophète une foule de fanatiques sans emploi, de pâtres sans troupeaux, de tiédos sans eau-de-vie. Al-Hadji put bientôt disposer de quinze à vingt mille partisans, séduits bien moins par les sourires hypothétiques des houris de l’autre monde, que par la perspective prochaine de saccager de riches villages et de se gorger d’un butin vivant ou inanimé. La horde de malandrins se jeta d’abord sur les Malinkés du Bambouk, premières victimes désignées par le prophète. Pas une chaumière de ces malheureux ne resta debout. Passant ensuite le Bafing, elle se répandit, tuant, pillant et brûlant, dans la vallée du Niger, et menaça Ségo, métropole des Bamanas et centre de la résistance la plus énergique que le fétichisme idolâtre oppose encore à l’islamisme dans le Soudan occidental. Repoussé de ce côté, Al-Hadji se replia vers le nord-ouest, sur le Kaarta qui lui offrait une proie plus facile par ses dissensions intestines. Là les Diavaras, anciens propriétaires du sol, étaient en pleine révolte contre les Massassis, conquérants bambaras, venus de Ségo dans le siècle dernier. Al-Hadji mit d’accord les deux partis en les tuant, brûlant et pillant, avec une sainte impartialité ; il fit du pays un désert, traita de même le Kasson, et jusqu’à une tribu musulmane, les Oulad-Mbareks, qui ne croyaient point en lui. Après ces exploits, et comme il songeait à regagner avec son butin et son armée le Fouta sénégalais, où il voulait fonder le centre de sa puissance, il rencontra sur son chemin le fort français de Médine, fondé deux ans auparavant par le colonel Faidherbe, dans un site admirable, à une lieue en aval de la cataracte du Félou. Les populations échappées aux massacres du saint convertisseur dans le Kaarta et dans le Kasson, étaient depuis longtemps venues demander au drapeau français un abri qu’elles ne rencontraient nulle part ailleurs ; groupées sous le commandement du Kassoukè Sambala, descendant de leurs anciens rois, elles avaient construit sous les canons du fort un village et un tata, sorte de château en pierre et en terre. Dans ce refuge plus de six mille de ces malheureux étaient installés.

Le commandement du fort avait été confié, heureusement, à un homme dont le nom doit également honorer le Sénégal, son berceau, et la France, sa patrie. Paul Holl était tout simplement un héros.

Prévoyant l’orage qui allait fondre sur lui, Paul Holl s’était empressé, dans les premiers mois de 1857, de lier au fort le tata indigène par une double enceinte de clayonnage et de terrassement.

Ces travaux étaient à peine terminés, lorsque, le 18 avril, quelques fuyards annoncèrent l’approche d’Al-Hadji.

Paul Holl demanda aussitôt à Sambala s’il persistait dans la résolution de résister énergiquement.

Sambala lui répondit :

« Kartoum, mon frère, a trahi ; l’ambition l’a fait l’ennemi de sa race : il a embrassé le parti de cet Al--