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VOYAGE DANS LES PROVINCES DU NORD DU PORTUGAL,

PAR M. OLIVIER MERSON[1].
AVRIL ET MAI 1857. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




De Coïmbre à Pombal et à Leiria. — Batalha. Le curé de Batalha. — Alcobaça. — D’Alcobaça à Thomar. — Porto de Moz. — La Serra d’Albardos. — Aleixo. — As contrabandistas ! — Ourem. — Thomar. — Un cicérone. — Santarem. — Lisbonne. — Belém. — Cintra. — Mafra — Conclusion.


XIX

Le 4 mai, à la petite pointe du jour, nous nous mettons en route pour Pombal.

Le ciel est triste et humide, le temps morose ; des paquets de nuages floconneux et immobiles voilent le soleil.

Nous sommes à cheval.

De Coïmbre, la route nous conduit à Condeixa à Nova, gros bourg d’un millier d’habitants. Nous nous dirigeons ensuite à gauche, pour joindre Condeixa à Velha. Là, nous nous heurtons à de grands pans de murs étendus à terre, restes d’une forteresse trouée, hachée, réduite à rien. On nous fait voir aussi quelque chose d’assez peu reconnaissable, qu’on nous donne pour d’anciens bains romains. Nous continuons sur Redinha. De temps à autre, nous voyons poindre de terre des fûts de colonnes, des tronçons de murailles, des bouts d’inscriptions de deux mille ans plus vieux que nous ; enfin, reprenant la grande route, nous arrivons à Pombal, en Estramadure.

La ville est petite, mais assez agréable et pas trop abandonnée des hommes. Elle compte près de 1000 habitants. On y voit quelques ruines intéressantes, entre autres celles d’une ancienne chapelle de templiers, où l’on saisit des traces d’architecture sarrasine, et celles d’un très-vieux château, offrant dans quelques détails encore visibles, l’accouplement des styles arabe et chrétien.

Le 5, nous faisons route pour Leiria. La chaleur est accablante, le paysage triste, solitaire, aride et misérable. C’est à peine si de loin en loin un moulin montre ses ailes en as de cœur, immobiles faute de brise. Nous apercevons aussi deux ou trois noras, puits à chapelets que les Arabes ont mis là et que les Portugais ont conservé sans en rien modifier, sans en changer le moindre rouage, la plus mince cheville, et nous rencontrons une troupe de mulets portant des paniers dont l’extrémité inférieure traîne presque à terre, en tous points semblables à ceux dont se servent encore les Africains, maîtres autrefois de ce pays. Ces paniers sont bombés de tangerinas[2]. Joseph tiraille, à droite, le gibier qui passe ; j’en fais autant à gauche ; M. Smith chante un air de la Catalina, opéra espagnol, imité quant au livret de l’Étoile du nord, et Christoval assis sur sa mule, les jambes pendantes d’un seul côté, une houssine à la main, roucoule une interminable andalousade dont les paroles le font sourire de ce sourire pacifiquement féroce dont j’ai parlé. Nous pénétrons bientôt dans une contrée assez bien cultivée, plantée de pins plusieurs fois séculaires ; nous passons une rivière appelée le Lis et nous mettons pied à terre à Leiria.

Des maisons répandues sans ordre, par centaines compactes ou par unités isolées, dans une vallée verte et fraîche, deux églises d’un gothique peu estimable, quelques lambeaux de murailles qui furent jadis des remparts redoutés ; le château du roi Diniz, ce prince dont la mémoire est chérie des Portugais, et qui fit, comme on dit dans le pays, tout ce qu’il voulut faire ; une belle forêt de pins, des oliviers aux environs… des lits impossibles dans une auberge détestable, voilà Leiria.

Nous avions hâte de voir Batalha. Nous ne jetons à Leiria qu’un regard distrait et peut-être injuste, et nous nous préparons à l’excursion du lendemain, qui nous assure l’une des plus belles moissons d’observations qu’un voyageur puisse faire, je ne dis pas en Portugal, mais en Europe.


XX

La planche que le lecteur a trouvée jointe à ce travail (page 304), nous permet d’abréger la description de la façade principale de Batalha.

Le portail a vingt-huit pieds d’ouverture et cinquante-sept d’élévation. Les figures qui le décorent représentent des saints, des prophètes, des rois, des papes, des martyrs. Dans le tympan du portail, sous un dais richement orné, assis sur un trône, le Christ tient la boule du monde dans la main gauche, et, la droite levée, il semble dicter aux quatre évangélistes qui l’entourent les paroles du Nouveau Testament. Au-dessus, dans le tympan de l’ogive, la sainte Vierge est couronnée reine des cieux. La balustrade qui surmonte le portail est crêtée, comme toutes celles de l’édifice, de la croix d’Aviz. Les arcs-boutants, les fenestrages, les clochetons sont tous du plus beau dessin, et il faut ajouter que dans toute cette ornementation, du style le plus pur, du goût le plus distingué, il n’y a pas pour ainsi dire un seul coup de ciseau à reprendre.

Le roi Jean Ier fit ajouter, pour sa sépulture, le bâtiment qui prolonge la façade à droite. Il était surmonté

  1. Suite et fin. — Voy. pages 273 et 289.
  2. La tangerina ou orange du Maroc a été importée des environs de Tanger par les Portugais dans le temps de leur domination au nord de l’Afrique. C’est une des variétés d’oranges les plus recherchées.