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de la déesse protectrice de cette onde salutaire, se dresse à quelques pas de là. Un caroubier étend aujourd’hui ses rameaux sur les ruines de cet édifice et le couvre de son ombre. Les Turkomans donnent à cet endroit le nom de Tatli-Sou (eau douce), et il est fort probable que c’est cette source que Varron appelle la fontaine de Nus. Selon cet ancien écrivain, les eaux de cette fontaine avaient la singulière propriété de donner à ceux qui en buvaient un esprit plus fin et plus subtil.

J’avais de la peine à m’arracher de ce petit paradis terrestre, et mes zaptiés, dont l’unique occupation était de dormir sur les bagages pendant que j’explorais avec Bothros les ruines de la montagne, gémissaient en pensant qu’il fallait abandonner un lieu si bien fait pour provoquer le kef. Enfin, on plia les tentes, et la caravane partit pour les ruines de Corycus, dont nous aperçûmes à distance les deux châteaux qui se découpaient au loin, comme une dentelle sur l’azur du ciel.

Ruines de Nemroun (ancienne Lampron). — Dessin de Grandsire d’après M. V. Langlois.

Corycus est peut-être la localité la plus riche de la Cilicie en fait de ruines et de monuments antiques et du moyen âge. Autrefois, elle était célèbre par son temple de Mercure, dieu protecteur de la cité ; à l’époque byzantine, elle renfermait de nombreuses églises, des aqueducs, et ses rues, bordées de maisons et de sarcophages, s’étendaient au loin sur les collines qu’enfermait son enceinte. Une vaste nécropole, dont les chambres sépulcrales et les sarcophages sont couverts d’inscriptions grecques, contient plus de dix mille monuments. À l’époque de la domination arménienne, Corycus, qui portait alors le nom de Gorigos, était un fief de la couronne des Roupéniens, et tous les voyageurs qui ont visité les ruines de cette localité célèbre en font de pompeuses descriptions. Willebrand, Sanuto, le seigneur de Caumont, S. Barbaro donnent les détails sur les monuments de Gorigos, et Guillaume de Machaut, dans sa chronique rimée de la prinse d’Alexandre, représente le château comme la plus imprenable forteresse de la Cilicie. Les Turcs donnent aux ruines de Gorigos le nom de Kurko-Kalessi (châteaux de Kurko) ou plus simplement Kurko.

Je demeurai plusieurs jours à Kurko, afin de relever des inscriptions byzantines et arméniennes, et d’étudier les monuments de la ville et ceux de la nécropole. Une large voie romaine qui conduit à Sébaste est bordée de sarcophages sur une longue étendue. Une mahonne, qui était venue de Messine, me permit de passer dans l’îlot, situé en face de la ville et sur lequel on a élevé un château, dont les restes sont dans un bon état de conservation. Deux inscriptions arméniennes, gravées sur les portes de l’édifice, m’apprirent que le château avait été élevé par les rois roupéniens.