rite et d’un grand guerrier, quoiqu’il ait au mollet une blessure qui date de sa guerre avec les Ouleds-Delims, et qui indique qu’il ne faisait pas face à l’ennemi lorsqu’il la reçut.
Je lui dis que le gouverneur m’envoyait près de lui pour renouveler et accroître la paix, l’amitié et le commerce qui existaient autrefois entre l’Adrar et le Sénégal ; de plus pour faire figurer sur les cartes du monde entier le pays qu’il commande, mais non, comme le lui ont dit quelques gens malveillants, pour voir si les blancs peuvent en faire la conquête ; qu’un tel bruit était absurde, et qu’il était trop intelligent pour ne pas le comprendre, etc. Il me répondit : « Ta venue jusqu’ici témoigne de ton courage : tu es le premier blanc que nous ayons vu ; c’est un grand événement dans le pays. J’accepte avec empressement l’amitié des Français ; pour ce qui est des relations commerciales, je ferai tout ce qui dépendra de moi pour les établir ; de plus, tu parcourras le pays à ton aise ; tu verras les montagnes, les grottes, les sources, les villages, et je te ferai reconduire à Saint-Louis en sécurité ; pour cela, je te donnerai mille guerriers s’il le faut. »
Le signal de la prière interrompit notre conversation. Tous les guerriers du camp y assistent toujours au même endroit découvert, qu’ils appellent mosquée. Tous, rangés sur un rang, exécutent, avec un ensemble militaire, tous les mouvements indiqués par le grand marabout, qui fait la prière à haute voix ; les captifs et les tributaires se tiennent à distance.
Une heure après, Ould-Aïda vint à ma tente ; je lui fis voir quelques petites curiosités qui l’intéressèrent beaucoup, entre autres un stéréoscope et des épreuves représentant quelques monuments de Paris et des scènes de la vie européenne. Ce furent des exclamations prolongées ; il aurait passé toute la nuit à les considérer, si nous l’avions laissé faire ; mon revolver lui plaisant par-dessus tout, je le lui donnai.
Le 1er mai, au matin, nouvelle visite du cheikh, désireux de juger par lui-même de l’adresse des blancs au tir de leurs armes. À quatre-vingts mètres, je mets deux balles de revolver sur trois dans une motte de terre assez forte. Les spectateurs sont émerveillés ; mais ils le sont bien plus des résultats obtenus avec la carabine. Jusque-là, tout allait bien, mais nos illusions sur la générosité de ce chef devaient bientôt s’évanouir une à une. Il commença par me demander les dernières pièces de guinée qui me restaient, sous prétexte que je n’en avais pas besoin, puisqu’il devait se charger de me fournir toutes les provisions de retour ; je refusai d’abord, mais je cédai enfin à son insistance ; il me restait deux pièces de guinée pour faire plus de deux cents lieues.
Tous les marabouts de l’Adrar avaient écrit à Ould-Aïda pour lui demander de mettre à mort les chrétiens et les musulmans de leur suite ; d’autres, non contents d’écrire, venaient appuyer leurs requêtes de leur éloquence et de leur fanatisme. Aussi Ould-Aïda retardait le plus possible le moment d’avoir un autre entretien définitif avec nous ; Bou-el-Moghdad se tenait au courant de toutes ces intrigues, et nous luttions de notre mieux contre les pieux complots des saints de l’Adrar.
Si nous n’avons pas été maltraités chez ce chef, vieux et faible, nous le devons à un marabout élevé chez les Trarzas, et surtout à l’arrivée successive d’un chef influent du Tichit et de Sidi-Fal, chérif du même pays, qui a visité Saint-Louis, où il a été bien reçu.
Ils me promirent l’un et l’autre que les commerçants de Tichit viendraient dans nos comptoirs des bords du fleuve avec de l’or, des plumes d’autruche, peut-être de l’ivoire, de la cire, des pagnes du haut pays, etc. Ils me dirent avoir parlé à Al-Hadji, alors dans la Bélédougou et en marche sur Ségou. Celui-ci leur a avoué que depuis qu’il faisait la guerre sainte, il avait perdu cinq mille hommes, et que sur ce chiffre les Français seuls lui en avaient tué deux mille ; qu’il n’avait jamais réussi dans ce qu’il avait tenté contre les Français, et qu’il renonçait désormais à les attaquer.
Je profitai de la réunion chez Ould-Aïda des chefs de Tichit, Chinguèti, Atar, Oujeft, pour lui proposer la signature d’un traité de commerce entre tous ces chefs réunis sous son patronage et le gouverneur du Sénégal. Il parut d’abord entrer dans nos idées avec chaleur, puis se refroidit peu à peu, et je ne pus rien obtenir de lui.
Les jours se succédèrent sans qu’il parût disposé à me laisser partir ; mais comme nous descendions vers le sud en nous rapprochant des villes, je ne le pressai pas trop sur ce point, car je conservais encore l’espoir de le décider à nous laisser visiter les centres de population fixe.
Le 16 mai, à une demi-journée de marche de Chinguêti, nous passâmes devant un tombeau où repose un marabout célèbre, Mohammed-ould-el-Beschir, pèlerin de la Mecque. On eût dit une maisonnette en pierres plates, surmontée d’une sorte de cheminée pleine, assez élevée. L’ouverture du monument est tournée du côté de l’orient. Le cheikh Ould-Aïda, ses guerriers, les femmes et les captifs descendirent successivement de leurs montures pour aller faire leurs dévotions et déposer l’offrande dont vivent les parents du défunt, gardiens du tombeau. Ensuite le chef de Chinguêti, le grand marabout vénéré, le distributeur intègre de la justice, crut devoir jurer sur les mânes du pèlerin que nos intentions étaient hostiles et qu’il fallait se défier de nous.
Devant nous se déroulait une grande plaine alternativement rocailleuse et sablonneuse, dans le prolongement de laquelle se trouve la ville d’Atar. On n’y voit pas encore de palmiers, mais déjà des pins maritimes, des arbres épineux y croissent en groupes élevés et pleins de vigueur ; des herbes épaisses, la plante à soie végétale et des pastèques amères en grande quantité y forment de loin en loin de petits îlots de verdure.
Malgré l’aspect amélioré de la contrée, la journée n’en fut pas moins insupportable : un vent très-violent d’est-nord-est soulevait des nuages de sable, l’atmosphère était embrasée. Vers la fin de cette tourmente, je reçus la