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il faut admettre des influences locales qui modifient ce trait de conformation qui par sa généralité devient ici un caractère de race. Des mesures nombreuses prises dans plusieurs localités sur des individus adultes, m’ont donné pour moyenne de la taille, un mètre sept cent vingt millimètres.

Leur extérieur régulier n’offre d’ailleurs rien de remarquable. Leur air est doux et efféminé, et leur démarche a perdu cette gravité que l’on accorde généralement aux Espagnols.

La peau est blanche, parfois avec de très-légères nuances de bistre. Souvent on peut y saisir des traces non équivoques de sang indien. Dans les campagnes, il faut joindre à cette cause l’influence des agents atmosphériques. Beaucoup d’individus ont la peau d’un blanc mat très-remarquable.

Produit hétérogène du mélange à tous les degrés de trois races d’origine et de provenance distinctes, la population présente l’homogénéité la plus complète et la plus entière uniformité dans ses mœurs, ses goûts, dans ses habitudes et ses sentiments religieux. J’omets à dessein de parler de ses convictions politiques : elle a eu rarement à les manifester, car il est bien difficile de prendre au sérieux les délibérations d’un congrès national, émané du suffrage universel, chez un peuple indifférent à tout, à peine entré dans les voies de la civilisation, et auquel on a appris à répéter à tout propos les mots sacrés d’indépendance et de patrie, en lui imposant en politique, en industrie, en commerce, une tutelle et des entraves à faire regretter le régime si durement reproché à la métropole.

Résignés, doux, patients, flegmatiques, bienveillants dans les relations ordinaires de la vie, les Paraguayos, profondément imbus du sentiment de l’autorité, se montrent en toute circonstance d’une soumission aveugle, presque servile, vis-à-vis de leurs magistrats. Ils obéissent avec la plus entière abnégation aux ordres émanés de leur « Suprême Gouvernement, » ou de ses moindres agents. La doctrine de l’obéissance absolue, pratiquée pendant trois siècles, n’avait pas eu le temps de faire naufrage dans le rapide passage des institutions coloniales à l’étrange républicanisme inauguré par le dictateur, et il n’était pas homme à lui laisser perdre son prestige. Aussi s’attacha-t-il toujours à semer au sein d’une population déjà craintive, l’effroi et la terreur par des exécutions répétées à de courts intervalles, et toujours sans jugement. Ces habitudes de soumission la séparent des peuples de la Plata, qui sortis tout armés du sein de l’insurrection ne savent pas obéir ; aussi voit-on alternativement chez eux, comme le remarque fort justement M. de Brossard, la liberté dégénérer en licence, et l’autorité réagir jusqu’au despotisme.

Ses mœurs paisibles et sa douceur, l’habitant du Paraguay les doit à plusieurs causes : à une disposition innée d’abord ; ensuite au bonheur qu’il a eu, bonheur payé un peu cher, de n’être pas lancé par une soudaine et violente transition, dans l’ère révolutionnaire au milieu de laquelle se débattent épuisées, depuis l’Indépendance, les provinces Argentines. Enfin, il les doit encore, selon moi, à son mode d’alimentation.

Sous une forme d’apparence frivole, le spirituel auteur de la Physiologie du Goût a formulé cet axiome d’une grande vérité : Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es. Je n’hésite pas à en faire ici l’application.

L’influence de la nourriture, incontestable chez les animaux, assez évidente dans tous les pays, nulle part ne m’a paru plus sensible que chez les Paraguayos.

L’Argentin ne quitte le sein maternel que pour mordre dans un morceau de bœuf saignant et souvent cru. Il dédaigne les fruits spontanés de la terre, d’ailleurs fort rares au milieu des solitudes qui l’environnent, et redoute par-dessus tout le travail et les soins que réclame la culture de ceux que l’homme s’est assimilés. Il n’en est pas de même au Paraguay. Des obstacles nombreux à l’accroissement illimité du bétail, en imposant un ordre et une économie nécessaires dans l’exploitation des troupeaux, laissent assez prévoir que l’éducation des hommes s’y accomplit dans des conditions bien différentes. Des habitudes sédentaires leur sont d’ailleurs imposées par les occupations agricoles, car l’agriculture, objet du dédain des gauchos, est justement honorée dans un pays dont elle a été jusqu’ici l’unique ressource.

La viande ne constitue pas, en effet, la base de la nourriture du Paraguayo, laquelle est plutôt végétale qu’animale. Une partie peu considérable de la population des villes se nourrit habituellement de viande, en y associant dans de fortes proportions la racine de manioc et les oranges ; une autre partie, plus nombreuse, ne mange de la viande que de temps à autre ; une autre enfin n’en mange jamais, ou seulement à de rares intervalles, et s’alimente exclusivement de la racine du Jatropa manihot, et des fruits que fournit en abondance le précieux végétal multiplié jusqu’à l’excès par la prévoyance des Jésuites. Ces différences dans les habitudes et la manière de vivre, expliquent en partie, je le crois, aux yeux du voyageur qui débarque à l’Assomption, après avoir touché à Buenos-Ayres et à Corrientes, le contraste frappant qu’il remarque entre tous ces anciens sujets de l’Espagne, dont les allures, le caractère et l’esprit sont si différents.

Le couteau n’est donc pas, comme pour ses voisins, l’ultima ratio de l’habitant du Paraguay. Il ne le passe pas, en se levant, à sa ceinture, pour le conserver tout le jour sur lui, dans sa maison. Il ne le porte qu’en voyage, et d’une manière peu apparente. Il devient alors sa seule arme, car le sabre est le signe distinctif des employés du gouvernement et des postillons qui portent ses ordres.

Protégé dans sa vie par une administration vigilante et ferme, le Paraguayo n’a pas besoin de se faire justice à lui-même ; et loin de chercher à entraver l’action de la justice, il lui prête, le cas échéant, un énergique concours. Un vol d’une certaine importance a-t-il été commis (car les crimes y sont rares, presque inconnus) ; signale-t-on la présence d’un malfaiteur dans le district ; à la voix du juge de paix (juez comisionado), soudain les habitants sont sur pied ; ils traquent le coupable comme ils feraient d’une bête fauve ; conduits, il est juste de le