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cée, mais surtout par suite de l’impossibilité où nous aurions été de trouver seuls des sources d’eau. Les voyageurs pourraient bien à la rigueur emporter une provision d’eau suffisante pour eux : mais il n’en est pas de même pour les montures : les mulets ne mangent jamais qu’après avoir bu. Aussi les étapes sont-elles très-irrégulières : un jour on campe après une marche de cinq à six lieues, tandis qu’un autre jour on est obligé de faire quinze à vingt lieues faute d’eau ou de bois.

Nous avions donc engagé comme guide à raison de deux piastres par jour un vieux trapeur mexicain.

Dès nos dernières étapes dans l’État de Durango, nous nous trouvions en plein pays des Comanches. Cette région composée de vastes montagnes non boisées récrée la vue par ses vastes pâturages, mais elle est pénible à traverser : il faut toujours monter et descendre.

Le voisinage des Indiens décourage les blancs de fixer leur demeure sur ces terres fertiles. Malgré les récits peu rassurants du guide, la beauté et la variété du paysage nous faisaient oublier tout péril, et chaque fois que nous gravissions une montagne, il nous tardait d’arriver au sommet pour jouir des beaux horizons de ce pays qui se fondent délicieusement dans des teintes bleu rosé d’une exquise finesse.

À l’exception du palmier mexicain qu’on rencontre dans toutes les régions, depuis l’extrême sud jusqu’à l’extrême nord du Mexique, une seule plante paraît dominer le règne végétal du désert, c’est le mescal, qui fournit aux Indiens une liqueur dont ils s’enivrent chaque fois qu’ils préparent une attaque. Cette boisson les rend féroces sans leur rien faire perdre de leur ruse habituelle. C’est encore avec cette plante qu’ils allument leur feu et couvrent leurs huttes. Ce jour-là même nous eûmes à apprécier son utilité.

Notre guide nous annonça que nous camperions la nuit suivante près d’une bonne source, mais que nous n’aurions pas de bois. Nous fîmes provision de mescal.

Les vivres frais nous manquaient : une heureuse chasse pouvait y suppléer ; contre notre attente, aucun gibier ne se montra, ce qui nous semblait un fait inexplicable dans ces déserts. Bientôt la vue de huttes abandonnées nous fit comprendre que nous avions été précédés par des Indiens, et que leur chasse avait tout dispersé.

Vers quatre heures du soir, en tournant une colline, nous découvrîmes tout à coup une belle vallée remplie de bêtes à cornes et d’animaux sauvages qui prirent la fuite à notre vue. Quatre hommes de la caravane, armés de carabines, se mirent à la poursuite des troupeaux et rapportèrent un veau très-gras. Chacun de nous en reçut sa part, qu’il suspendit au pommeau de sa selle. Il nous parut que le désert avait ses avantages, et nous nous réjouîmes à la pensée que nous pourrions rencontrer plus d’une fois de semblables aubaines.

À onze heures du soir nous atteignîmes la source. Cette journée avait été longue et rude. Nous n’avions ni bu ni mangé depuis quatre heures du matin jusqu’à onze heures du soir. Il s’agissait maintenant de souper ; nous avions de la farine et du sel, mais la levure nous manquait. Nous fîmes une pâte sans levure que nous exposâmes au feu dans une casserole ; ce qui nous donna une sorte de galette assez difficile à digérer.

Le souper achevé, on rassembla les mulets, qu’on avait d’abord mis en liberté dans le camp : une longue corde, attachée à un pieu fiché en terre, leur laissait l’espace suffisant pour pâturer à leur aise pendant la nuit.

Nos deux nègres furent chargés du service des mulets. La garde de nuit fut confiée à trois hommes. Le premier dut veiller de dix heures à minuit, le second de minuit à deux heures du matin, et le troisième de deux à quatre ; ce dernier nous réveilla vers cette dernière heure. Les mulets furent remis au pâturage, et nous fîmes le café. Cet ordre du campement fut fidèlement observé pendant le reste du voyage.

À six heures, nous nous remîmes en route.

Nous avions à traverser un pays moins montagneux et une route plus boisée. Je fis plusieurs croquis sur mon calpin de poche. Des plantes splendides charmaient nos yeux. Je rencontrai ce jour-la des aloès en fleurs qui atteignaient une hauteur de vingt-cinq pieds. Vers trois heures de l’après-midi, nous arrivâmes enfin à Cerro-Gordo, place militaire sur la frontière de l’État de Durango et l’État de Chihuahua.

Nous nous mîmes à la recherche d’un corral (une cour entourée de murs) pour y camper. Au bout d’un quart d’heure nous en trouvâmes un assez spacieux. À peine y étions-nous installés qu’un Mexicain vint nous faire savoir que l’alcade sommait le chef de la caravane de comparaître devant lui. Grand fut notre étonnement ! nous dîmes à cet homme que nous n’avions pas de chef. Le Mexicain alla porter réponse à l’alcade qui le renvoya de nouveau avec la même injonction. Quelques-uns d’entre nous se rendirent donc auprès de ce magistrat et revinrent nous apprendre que nous étions condamnés à payer douze piastres, pour indemnité du veau que nous avions tué la veille. Le troupeau que nous avions cru sauvage, avait, non-seulement un maître, mais encore un gardien qui, de la cime d’une montagne, ayant assisté à notre prouesse, nous avait précédés dès six heures dans la ville et nous avait signalés à l’autorité. C’était nous qui nous étions comportés en vrais sauvages sans le savoir. Nous payâmes sans réplique, en nous promettant de ne plus croire aussi facilement désormais aux bonnes fortunes du désert.

Provisoirement nous nous déterminâmes à rester une journée à Cerro-Gordo pour y prendre quelque repos.

Ces villes mexicaines ont un caractère moresque. Les maisons sont bâties en adobes, briques séchées au soleil et qui ont en moyenne trois pieds de longueur sur deux et demi de haut et jusqu’à trois de profondeur. À distance, ces maisons ont l’air d’être bâties avec des pierres de taille ; elles n’ont qu’un rez-de-chaussée, sont carrées avec une cour intérieure et des galeries à colonnes sous lesquelles s’ouvrent les portes des différentes pièces. L’épaisseur des murs donne de la solidité à ces habitations. Elles sont d’ailleurs très-confortables. Il y fait frais en