Page:Le Tour du monde - 04.djvu/140

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sans crainte le bétail qui fait leur seule ressource, et qui, vivant en liberté, n’accepte le joug de l’homme que lorsque ce dernier a fini par lui imposer l’obéissance par la crainte. Le but a été atteint : l’audace et l’adresse des toréadors sont incroyables. Le taureau le plus indomptable est forcé d’accepter le joug lorsqu’il a été pris au lazo.

Les spectateurs sont aussi intéressants à examiner que les acteurs. Leur joie et leur animation sont extraordinaires. J’ai vu un matador dangereusement blessé et mis hors de combat ; tout d’un coup un silence profond régna parmi les spectateurs ; l’effroi était peint sur tous les visages ; les toréadors et les picadores eux-mêmes étaient comme stupéfiés, mais la vue du sang qui ranimait le taureau d’une nouvelle rage fit sortir les spectateurs de leur angoisse et les acteurs de leur étourdissement ; les picadores parvinrent à donner à l’animal une autre direction ; on enleva le blessé, on le transporta hors l’arène. Le taureau furieux semblait attendre et défier un nouvel ennemi. Tout d’un coup, un des spectateurs franchit la rampe, ramasse l’épée du matador, s’approche de l’animal et le regarde fixement ; puis il avance de quelques pas : l’animal, fasciné, courbe la tête comme pour demander grâce. Le hardi matador improvisé pose alors son pied gauche entre les cornes du taureau, reste immobile dans cette position pendant quelques secondes, et lui plonge ensuite son épée dans la poitrine : le taureau, inondé de sang, frissonne et meurt. Durant cette scène, on n’entendait pas une parole, un cri, un souffle dans le cirque, mais il s’éleva comme un orage d’acclamations après la victoire. Il faut avoir assisté à une fête pareille pour en comprendre les transports.

Place de la Boucherie, à Chihuahua.

Un autre cirque, plus petit, sert aux combats de coqs. Les Mexicains déploient une patience et une adresse merveilleuses à dresser les coqs à ce genre de combat. On porte deux coqs dans l’arène, on les met en présence l’un de l’autre, on les excite pendant quelques minutes ; quand on les suppose assez furieux, on leur attache à l’ergot une petite lame de couteau. On leur arrache quelques plumes du cou pour les exciter de nouveau. Mais avant que le combat ne commence, des paris s’engagent dans la salle. Il n’est pas rare de voir un Mexicain n’ayant point de chemise sur le dos, parier deux et jusqu’à trois cents piastres pour l’un ou l’autre des coqs. Quand les paris sont établis, on lâche les adversaires qui commencent par s’attaquer avec une telle vigueur, que souvent l’un des combattants succombe éventré au premier choc. Le perdant paye le montant de son pari avec sang-froid, prêt à recommencer à la première occasion. Les gens de bonne éducation n’assistent jamais aux combats de coqs.

Le gouvernement publie un journal, intitulé El Faro