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Biskra, au point de vue des rencontres nocturnes, a donc une certaine analogie avec Londres, la Babylone moderne, comme disait le baron Taylor ; mais il y a cette différence que les Nayliya sont presque réservées, tandis qu’il suffit d’avoir habité Londres pendant quelque temps, pour s’apercevoir que chez les Anglais, c’est a true nuisance.


Ghardaya, 27 juin.

Me voici enfin dans l’Oued-Mezab, installé chez le caïd, dans une petite maison qu’il a fait bâtir dans son jardin. Il est deux heures. La chaleur est étouffante. Tout est fermé. C’est à la lueur d’une bougie que je reprends mon journal de route.

Le 12 de ce mois, dans la soirée, après avoir reçu la visite de l’excellent commandant supérieur de Biskra, M. Séroka, qui était venu me dire adieu, je fis transporter ma petite tente et mon lit de camp dans les plantations de dattiers et j’y passai la nuit, afin de m’habituer un peu, avant mon départ, à cette habitation volante, et voir comment je coucherais dans le désert.

Tout se passa très-bien ; seulement je reconnus bientôt l’inconvénient de mon petit modèle de tente, qui ne pouvait pas fermer, inconvénient dont j’ai malheureusement eu à me plaindre chaque nuit, à cause des vents violents qui règnent presque continuellement sur ces immenses plateaux du Sahara, et qui changent de direction d’un moment à l’autre.

Camp du scheik El-Arab, près Biskra. — Dessin de A. de Bar d’après une photographie de M. de Beaucorps.

Le lendemain, 13 juin, de grand matin, nous revînmes de Biskra accompagnés de notre futur guide Si Chérif, des chameliers, et de quatre chameaux qui devaient porter mon bagage. On fut assez long à distribuer les charges, encore plus à faire ses adieux et à recevoir les souhaits de ses connaissances pour le succès du voyage. Enfin, après bien de fausses alertes, des ordres et des contre-ordres, notre petite caravane se mit en mouvement, et entra dans les ruelles tortueuses qui sillonnent les vastes plantations de dattiers de Biskra. Dix chameaux pesamment chargés, et dont deux, outre leur charge, portaient encore un voyageur, ouvraient la marche, ensuite venaient ce que j’appellerai les cavaliers, quoique ces messieurs n’eussent pour montures que trois mulets et trois ânes ; le guide, les deux chameliers et deux Mezabites suivaient à pied. Tout cela ne manquait pas de pittoresque. Le guide surtout avec ses vêtements jadis blancs, ses babouches olivâtres, son large chapeau de paille, et son tromblon suspendu derrière le dos, avait quelque chose de vraiment original ; il m’a rappelé un air de Fra Diavolo que j’ai appris à Leipsick, mais dont malheureusement je ne sais les paroles qu’en allemand. Nous étions accompagnés par les notabilités mozabites de Biskra. Les passants s’arrêtaient pour nous souhaiter un bon voyage et restaient longtemps ébahis à la vue de l’étrange apparence de Si Saad-ben-Abd-Allah (c’est le nom arabe que j’ai pris), qui avec ses vêtements arabes, la carabine au dos, le révolver à la ceinture, un grand parapluie blanc à la main, les yeux armés de conserves bleues et monté sur un grand âne noir, leur donnait un champ illimité d’hypothèses et de commentaires.

Nous sortîmes enfin de Biskra et à ce moment les Mezabites qui étaient venus faire la conduite à leurs frères bien heureux, qui retournaient dans leur patrie, nous firent l’honneur de faire parler la poudre au risque de nous désarçonner ; ils arrivaient sur nous en chargeant et faisant feu aux pieds de nos bêtes. On se dit encore une fois adieu et nous entrâmes alors dans le désert, tous pleins de satisfaction et d’entrain, quoique pour des raisons bien différentes.

En quittant Biskra, nous nous avançâmes dans le désert, laissant derrière nous les montagnes rocailleuses que l’on doit considérer comme les limites septentriona-