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ménie, la Mingrélie, et alla par Érivan, Tiflis et Kotaiès à Redoutkalé. Elle toucha à Anapa, à Kertch, à Sébastopol, débarqua à Odessa ; et passant par Constantinople, la Grèce, les îles Ioniennes et Trieste, elle arriva à Vienne le 4 novembre 1848, peu après la prise de la ville par l’armée du prince de Windischgraez. Ainsi son propre pays déchiré par des luttes intestines ne devait pas lui offrir un lieu de repos !

Cependant ce voyage autour du monde agrandit beaucoup la réputation d’Ida Pfeiffer. Une femme qui, sans autre appui que ses seules forces, a fait douze cents lieues par terre et près de douze mille par mer, doit bien être considérée comme un phénomène extraordinaire. Son troisième ouvrage publié sous ce titre : Eirie die Frauerfahrturn die Welt (Voyage d’une femme autour du monde), Vienne, trois volumes, 1850, eut un très-grand succès. Il fut traduit deux fois en anglais, et plus tard aussi en français[1].


Deuxième voyage autour du monde (1851-1855).

Si pendant quelque temps Ida Pfeiffer eut la pensée de se livrer au repos et de ne pas recommencer ses grands voyages, elle ne demeura pas longtemps dans ces dispositions. Après avoir vendu ses collections, mis en ordre et publié son journal, ne sentant nullement décliner ses forces, elle conçut l’idée d’un second voyage autour du monde. Cette fois, le gouvernement autrichien lui vint en aide, en lui allouant la somme de quinze cents florins. Le 18 mars 1851, elle quitta Vienne pour se rendre à Londres, d’où elle fit voile, le 11 août, pour le cap de Bonne-Espérance.

La situation du Cap rappela à Ida Pfeiffer celle de Valparaiso. Comme cette dernière ville, la métropole de l’Afrique australe est encadrée dans des montagnes arides et sans arbres. Tout le monde connaît la montagne de la Table, celle du Lion, celle du Diable. Il n’est pas de voyageur qui n’en ait parlé. Les rues de la cité, qui conduisent toutes à la grève, sont très-larges et bien aérées, mais ne sont plus guère bordées d’arbres. Du temps de la domination hollandaise, chaque rue, dit-on, était garnie d’une belle allée. Les maisons, d’ailleurs toutes construites à l’européenne, n’ont que des terrasses en guise de toits. Le fort est muni de beaucoup de canons, la caserne est assez grande ; la bourse, sur la place d’Armes, édifice long et de peu d’apparence, se compose seulement d’un rez-de-chaussée. Les maisons particulières, toutes à un étage, ont d’ordinaire quatre à six fenêtres de front et contiennent de belles chambres fort élevées. Le jardin botanique, si vanté par Parny, est loin d’avoir tous les arbustes, toutes les plantes et les fleurs qu’on serait en droit de s’attendre à trouver dans ces régions. La population totale du Cap s’élève à trente-neuf mille âmes. (Voy. p. 296.)

De cette ville, Mme Pfeiffer hésita longtemps entre l’intérieur de l’Afrique et l’Australie ; enfin elle partit pour Sincapour et se décida à visiter les îles de la Sonde. Elle aborda d’abord sur la côte occidentale de Bornéo, à Sarawak, et elle y trouva chez l’Anglais sir James Brooke, devenu chef bornéen indépendant, un bon accueil et une puissante protection. Elle en parle en ces termes :

« James Brooke, issu de la famille du baronnet sir Robert Vyner, qui, sous Charles II, fut lord-maire de Londres, est né en 1803. Il alla comme enseigne aux Indes, se distingua par sa bravoure, et, assez grièvement blessé dans un combat contre les Birmans, il fut forcé de retourner en Angleterre pour se faire soigner. Plus tard, il reprit du service ; mais sa santé affaiblie ne lui permit pas de suivre longtemps la carrière militaire. En 1830, il alla de Calcutta en Chine pour changer d’air et pour se désennuyer. Ce fut dans ce voyage qu’il connut l’archipel des Indes, qui lui plut infiniment, et qu’il parvint à la conviction que les îles orientales, et surtout Bornéo, offraient un vaste champ à de nouvelles explorations et à de nouvelles entreprises. Il se proposait particulièrement d’abolir la traite des esclaves, de mettre un terme aux pirateries et de civiliser les indigènes. S’il y eut jamais un homme fait pour cette entreprise, c’était James Brooke. Doué d’une intelligence rare, décidé et prompt à exécuter ce qu’il avait une fois résolu, il était noble, généreux, et à toutes les qualités de l’esprit et du cœur il joignait les manières les plus franches et les plus aimables.

« Quand James Brooke arriva à Sarawak, il trouva le rajah Muda-Hassim en grande dissension avec son peuple. Brooke prêta au rajah aide et conseil, et, au bout de deux ans, il parvint à rétablir l’ordre et la tranquillité dans tout le pays. Il porta ensuite son attention sur les pirates et en purgea entièrement toute la côte. Muda-Hassim lui témoigna sa reconnaissance en lui cédant le district de Sarawak et en l’élevant au rang de rajah.

« Il prit possession du pays en 1841, et fut reconnu comme prince et souverain, non-seulement par le sultan bornéen de Bronni, mais aussi par les Anglais.

« Les résultats de son administration, aussi juste qu’énergique, se firent bientôt sentir dans le pays soumis à son pouvoir. La population de la ville monta, en dix ans (de 1841 à 1851), de quinze cents à dix mille âmes, et le nombre des habitants de la campagne augmenta aussi dans les mêmes proportions, grâce aux émigrants des États voisins. Jusqu’aux Dayaks libres et sauvages établis dans l’intérieur du pays, tous connaissent son nom et le révèrent comme le libérateur de leurs compatriotes, qui vivaient jadis en esclaves sous le joug des Malais, tandis qu’aujourd’hui ils marchent de pair avec eux. Chacun trouve en sûreté et en paix les moyens de gagner sa vie. Le marchand peut se livrer sans crainte à son commerce ; le paysan reçoit gratuitement autant de terre qu’il peut en cultiver, et en outre on lui avance le riz nécessaire pour les semailles et de quoi vivre jusqu’au temps de la récolte ; l’ouvrier trouve de l’occupation dans les mines d’or, de diamants et d’antimoine. Les impôts sont peu élevés : le marchand paye une bagatelle sur son magasin,

  1. La traduction française des deux voyages autour du monde de Mme Ida Pfeiffer a déjà eu deux éditions en France.

    (Note du traducteur.)