Page:Le Tour du monde - 04.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Intérieur de Port-Louis. — Dessin de E. de Bérard d’après nature.


VOYAGES D’IDA PFEIFFER.

RELATIONS POSTHUMES[1].
1856-1857. — TEXTE INÉDIT.




ÎLE MAURICE.

Départ du Cap. — Passage devant l’île Bourbon. — Île Maurice. — Prospérité de l’île. — La ville de Port-Louis. — Vie des habitants. — Domestiques indiens. — Grands dîners. — Maisons de campagne. — L’hospitalité des créoles.

Arrivée d’Europe au Cap le 17 novembre 1856, je ne tardai pas à voir venir à moi un Français nommé Lambert qui m’y avait devancée de quelques jours. Il avait appris à Paris que je m’étais proposée d’aller à Madagascar, et qu’on m’avait détournée de ce projet. Informé la veille de mon arrivée, il venait m’engager à faire avec lui ce voyage, à moins que je n’y eusse renoncé entièrement. Il annonça qu’il était déjà allé dans cette île il y avait deux ans, et qu’il connaissait personnellement la reine, à qui il avait écrit de Paris pour lui demander l’autorisation de faire dans son pays un second voyage. Il espérait trouver cette permission à Maurice ; et dès notre arrivée dans cette île il la demanderait également pour moi, ne doutant nullement qu’on me l’accordât. Si je voulais faire ce voyage, il fallait m’y décider de suite, car le bateau à vapeur partait le lendemain même pour Maurice.

Le voyage de Maurice à Madagascar ne pouvait, il est vrai, à cause de la saison des pluies, s’entreprendre qu’au commencement d’avril, mais, d’ici là, il serait très-heureux de m’offrir cordialement l’hospitalité chez lui.

Qu’on se figure ma joie, ma surprise ! J’avais déjà renoncé à tout espoir d’exécuter ce voyage, et on venait m’offrir aujourd’hui les moyens de le faire de la façon la plus commode et sans danger. Je ne sais pas du tout ce que je répondis à M. Lambert. J’aurais voulu pousser des cris d’allégresse et annoncer mon bonheur à tout le monde. Oui, je puis parler de bonheur, car c’était là une de ces rencontres heureuses qui sont très-piquantes dans les romans, mais très-rares dans la vie réelle.

Le 18 novembre, je partis du Cap pour l’île Maurice sur le bateau à vapeur Noverno Higginson, de la force de cent cinquante chevaux, commandé par le capitaine Frenth. Ce bateau avait été nouvellement construit par actions, dont la plus grande partie appartenait à M. Lambert. Ce monsieur ne me laissa pas payer ma place, et il ne l’eût pas souffert quand même il n’aurait pas possédé une seule action. Il prétendit que j’étais son hôte jusqu’à mon départ définitif de Maurice.

Notre traversée de sept cent et quelques lieues marines fut très-heureuse, et, bien que nous eussions mis à la voile par une mer orageuse et que les vents nous fussent presque toujours contraires, une des plus rapides effectuées jusqu’à ce jour. À part quelques trombes insignifiantes, nous ne vîmes rien de curieux jusqu’à l’île Bourbon.

Le 1er  décembre, nous découvrîmes la terre dès le matin, et dans l’après-midi nous jetâmes l’ancre dans la rade peu estimée de Saint-Denis, capitale de l’île Bourbon.

  1. Suite. — Voy. page 289.