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crevasses qui forment des gorges très-étendues. J’en visitai plusieurs, entre autres une placée sur un petit plateau tout à fait dans le voisinage de la maison de campagne appartenant à M. Kerr. Elle pouvait avoir de vingt-cinq à trente mètres de profondeur, et dans le bas environ douze mètres de largeur. En haut cette largeur était bien plus considérable. Les parois étaient tapissées de beaux arbres, de charmants buissons et de plantes grimpantes, et dans le fond coulait, en formant quelques jolies cascades, une rivière d’une eau limpide comme le cristal.

Une des plus belles vues peut-être de toute l’île est celle dont on jouit du haut de Bagatelle, la villa de M. Robinson. D’un côté le regard se repose sur des chaînes de montagnes pittoresques, tandis que de l’autre côté il s’étend sur des champs d’une riante fertilité et sur l’immensité de l’océan. Quand le ciel est pur on découvre, dit-on, jusqu’à l’île Bourbon.

De toutes les villas que je vis à Maurice, celles de MM. Robinson et Barclay me parurent les plus-belles. Les habitations sont entourées de parcs et de jardins, disposés avec beaucoup de goût, dans lesquels les fleurs et les arbres des tropiques, surtout des palmiers d’une grande beauté, se marient à toutes les plantes d’Europe. Chez M. Robinson j’ai mangé d’aussi bonnes pêches qu’en Allemagne ou en France.

Les maisons de ces deux messieurs se distinguent aussi d’une manière très-avantageuse de toutes celles de l’île. Les appartements sont hauts et spacieux. Les aménagements sont très-commodes, et l’ordre et la propreté règnent partout.

Ces éloges ne peuvent guère être adressés aux villas des créoles. À parler franchement, je prenais la plupart d’entre elles pour des cabanes de pauvres paysans. Elles sont presque toutes construites en bois, très-petites et très-basses, à moitié cachées par les arbres ; on ne croirait réellement pas que de telles baraques sont habitées parfois par des gens très-riches.

Le dedans répond tout à fait à l’extérieur. Le salon de réception et la salle à manger peuvent encore passer ; mais les chambres à coucher sont si petites qu’un ou deux lits et quelques chaises suffisent à les remplir entièrement. Et songez qu’à Maurice la chaleur est si accablante, qu’on y a, plus que partout ailleurs, besoin d’appartements hauts et spacieux. Pour mettre le comble aux agréments de ces habitations, leurs propriétaires ont souvent la singulière idée de couvrir une partie des maisons en zinc. Quand on a le malheur de se voir assigner pour logement une pareille chambre sous le toit, on peut s’y faire une idée du supplice qu’enduraient les malheureux prisonniers sous les plombs de Venise. Toutes les fois que mon mauvais destin me conduisait dans une semblable maison, je voyais venir la nuit avec une véritable angoisse. Ordinairement je la passais sans dormir, baignée de sueur et prête à étouffer faute d’air. À Ceylan on couvre quelquefois aussi les toits en plomb ou en zinc ; mais les maisons y sont infiniment plus hautes, et puis le zinc n’est pas exposé aux rayons brûlants du soleil, mais toujours couvert de bois et de paille.

Je trouvai beaucoup de ces maisons si dégradées et pour ainsi dire si prêtes à tomber que je ne pouvais assez admirer le courage des gens qui osaient les habiter. Pour moi, je ne rougis pas d’avouer qu’à chaque coup de vent je craignais de voir la maison s’écrouler, et cela d’autant plus qu’à Maurice les coups de vent sont excessivement violents et que les ouragans y font quelquefois de très-grands ravages. Ce sont ces coups de vent et ces ouragans que les bons créoles donnent comme excuse du peu de hauteur de leurs maisons ; ils prétendent que des édifices plus élevés ne sauraient résister à la tempête. Certainement non, s’ils sont aussi mal bâtis que leurs cabanes, mais les maisons de campagne de MM. Barday et Robinson, quoique hautes et grandes, et déjà construites depuis des années, ont parfaitement résisté aux coups de vent et aux ouragans. J’ai déjà fait remarquer qu’à la campagne on rencontre plus d’hospitalité qu’à la ville. Cependant j’ai appris à mes dépens qu’il n’en est pas de même partout. Si dans certaines maisons, comme chez les familles Kerr, Robinson, Lambert et autres je me trouvais tout à fait à mon aise, il m’arriva parfois aussi d’être trompée par l’amabilité apparente des créoles et d’accepter des invitations dont les suites me faisaient saluer ma liberté recouvrée avec un véritable bonheur.

Des personnages influents et haut placés ont naturellement beaucoup de chance d’être partout accueillis avec une prévenance marquée ; mais pour des étrangers ou des hôtes ordinaires dont on n’a rien à espérer, on se met généralement peu en frais. On leur donne bien à manger et à boire, mais c’est tout. On les loge dans un pavillon ou petite cabane qui est souvent à plus de trente mètres du corps de logis principal, de sorte qu’ils ont le plaisir de faire pour chaque repas une promenade sous la pluie ou sous un soleil brûlant. Et si le corps de logis principal est incommode et délabré, on se figure sans peine que ce doit être le pavillon.

Il se compose d’ordinaire de deux ou trois petites chambres dont les portes et les fenêtres ne ferment pas, ou les carreaux cassés laissent entrer la pluie, et où les serrures sont si rouillées qu’il faut barricader sa porte pour qu’elle ne s’ouvre pas à chaque coup de vent.

Chacune des petites pièces renferme un lit, une méchante table et une ou deux chaises. Quant à une armoire, je n’en vis nulle part. Aussi me fallut-il toujours laisser emballés mes vêtements et mon linge, et à chaque objet dont j’avais besoin j’étais obligée de me baisser pour ouvrir et fermer ma malle.

Encore ces désagréments matériels ne seraient-ils rien si on trouvait quelques dédommagements dans l’amabilité et les prévenances de ses hôtes. Mais c’est rarement le cas. Dans presque toutes les maisons l’étranger est toute la journée abandonné à lui-même. Personne ne s’occupe de lui ni ne cherche à lui procurer quelque distraction. Il y a ordinairement sur chaque ha-