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maine, mais que la légende populaire rattache à une fiction, plus vivante dans la mémoire des hommes que bien des faits de l’histoire générale : — au doux et pur roman de Paul et Virginie. C’est le propre du génie de donner à ses créations les apparences de la vie et le coloris de la réalité ; et le chef-d’œuvre de Bernardin de Saint-Pierre a plus fait pour la renommée de l’île de France que trois siècles d’existence coloniale, à l’illustration de laquelle n’ont pourtant fait défaut ni les hommes remarquables, ni la grande prospérité, ni les grands revers.

Déjà le mois d’avril était arrivé, et excepté mon excursion aux Pamplemousses et quelques petites promenades dans le district de Mocca, je n’avais presque point encore pénétré dans l’île. Pourtant je ne voulais pas quitter Maurice sans visiter au moins les points les plus intéressants, seulement je ne savais pas comment m’y prendre. Sur ces entrefaites, l’aimable M. Satis, juge à la haute cour, m’invita à aller avec lui à la cascade de Tamarin. Nous passâmes par la villa de M. Moon, que M. Satis avait invité à se joindre avec sa famille à notre partie.

Nous arrivâmes bientôt à la cascade située à peine à un petit mille de la villa de M. Moon et où, grâce aux soins de M. Satis, un excellent déjeuner nous avait été préparé en face de la chute sous de beaux ombrages.

Il n’était vraiment pas possible de trouver un plus bel endroit. Nous étions sur un plateau élevé de près de quatre cents mètres au-dessus du niveau de la mer. Nous voyions s’ouvrir à côté de nous une gorge de deux cent soixante-cinq mètres de profondeur, qui avait à notre niveau plus de cent soixante-cinq mètres de large et qui allait en se rétrécissant de plus en plus vers la mer. C’est dans cette gorge que se précipite la rivière en formant sept cascades ravissantes dont deux ont plus de trente-quatre mètres de haut. Elle court avec impétuosité dans le fond de la vallée au milieu de la plus riche végétation et termine dans la mer voisine son cours limité mais excessivement agité. Le tableau doit être infiniment plus grandiose après de longues pluies, quand les petites cascades se confondent avec les grandes et que toute la masse d’eau tombe en deux chutes dans le fond de la vallée.

Je n’oublierai jamais le beau jour où, jouissant de ce superbe spectacle, j’eus encore le plaisir de faire la connaissance de l’aimable famille Moon. Je me trouvai de suite liée avec Mme Moon comme si je l’eusse connue depuis longtemps, et je fus très-heureuse quand elle m’offrit de rester quelque temps chez elle. Le terme fixe de mon départ pour Madagascar approchait et je ne pus demeurer avec elle que trois jours, mais ce furent trois jours fortunés qui me dédommagèrent de plus d’une triste déception. J’appris à connaître en Mme Moon une dame non-seulement très-aimable, mais très-instruite ; elle a surtout un talent distingué pour la peinture. À la demande de la direction du Musée britannique, elle a peint pour cet établissement cent vingt différentes espèces de mangos ainsi que les plantes médicinales qui viennent à Maurice.

M. et Mme Moon, ainsi que leur parent, M. Caldwell, s’empressèrent de me montrer les beautés de leur île, et dès le lendemain ils me conduisirent à la colline Orgueil, d’où l’on a la vue la plus ravissante du pays et des montagnes. D’un côté on voit le Morne-Brabant, montagne qui s’avance tout à fait dans la mer et n’est unie à la terre que par une langue de terre étroite ; non loin de là le Piton de la rivière Noire, la plus haute montagne de l’île (854 mètres). D’un autre côté s’amoncèlent le Tamarin et le Rempart ; ailleurs encore s’élève une montagne avec trois pics élevés, appelée Les trois mamelles. Tout près de ces pics s’ouvre une gorge profonde qui a quatre parois dont deux sont presque entièrement écroulées, tandis que les deux autres sont droites et roides. Outre les montagnes déjà nommées, on voit encore le Corps de garde du port Louis de Mocca, le Pouce, dont la pointe sort comme un pouce ou comme un doigt du milieu d’un petit plateau ainsi nommé, et le Peter Booth, qui porte le nom de celui qui le premier en a fait l’ascension. Peter Booth s’y prit de la manière suivante pour arriver à ce pic regardé jusqu’alors comme inaccessible. Il lança, à l’aide d’une flèche, de l’autre côté du bloc terminal, une forte ficelle. À celle-ci il attacha une corde solide qu’il fit tendre par-dessus le pic et fixer des deux côtés, et c’est en se hissant le long de la corde qu’il put tout à la fois arriver au sommet et à l’honneur d’immortaliser son nom. La chaîne des montagnes se termine par la Nouvelle découverte (voy. p. 315).

Les montagnes de cette île se distinguent par leurs formes aussi belles que variées. Les unes présentent de larges parois verticales, les autres s’élèvent en pyramides. Quelques-unes sont couvertes jusqu’au sommet de bois touffus ; d’autres ne le sont qu’à moitié, et la pointe de rocher sort tout à coup lisse et nue d’un vert océan de feuillage. Elles sont entrecoupées de belles vallées et de gorges profondes, et je voyais au-dessus d’elles un ciel bleu et sans nuages. Je ne pouvais me rassasier de ce ravissant spectacle, et plus je le considérais, plus j’y découvrais de beautés.

Notre excursion suivante et malheureusement la dernière fut consacrée au Trou du cerf, cratère parfaitement régulier et garni d’une riche végétation.

Son aspect produit une impression d’autant plus grande que rien ne décèle son existence et qu’on ne le découvre que quand on est arrivé au bord. Quoique les pentes soient escarpées, un étroit sentier conduit cependant jusqu’au fond du Trou, qui pendant la saison des pluies est rempli d’eau.

Du bord du cratère on a une vue admirable sur trois parties de l’île ; on voit les belles montagnes avec les épaisses forêts vierges d’où s’élèvent les pointes de rochers nues et escarpées ; les vastes plaines avec les riches plantations de cannes à sucre, brillant toute l’année d’une fraîche verdure, et la mer azurée dont les vagues mugissantes couvrent la côte d’une blanche écume. C’est un magnifique paysage auquel il ne manque que quelques rivières pour en rendre la beauté parfaite.