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par les Malgaches, figurèrent longtemps comme un épouvantail sur le pourtour de la baie. (Voy. p. 325.)

Le bazar est au milieu du village, sur une vilaine place inégale, et se distingue autant par sa pauvreté que par sa malpropreté. Un peu de viande de bœuf, quelques cannes à sucre, du riz et quelques fruits sont à peu près tout ce qu’on y trouve, et l’étalage entier d’un des marchands accroupis par terre ne vaut souvent guère plus d’un quart de piastre. On tue les bœufs dans le bazar même ; on ne leur ôte pas la peau, mais elle se vend avec la viande et passe pour très-agréable au goût. La viande ne se vend point au poids, mais d’après la grosseur et la mine du morceau.

Quand on veut acheter ou vendre quelque chose dans ce pays, il faut toujours porter avec soi une petite balance ; car il n’y avait à Madagascar d’autre monnaie que l’écu d’Espagne, quand, il y a deux ans seulement, M. Lambert y vint pour la première fois et apporta avec lui des pièces de cinq francs. Celles-ci y ont également cours. À défaut de petite monnaie, les écus et les pièces de cinq francs sont coupés en parties plus ou moins petites, quelquefois en plus de cinq cents parcelles.

J’appris, à ma très-grand surprise, que malgré leur barbarie et leur ignorance les indigènes savaient si bien contrefaire les écus qu’il fallait avoir le coup d’œil très-juste et les examiner de bien près pour pouvoir distinguer les bonnes pièces des fausses.


Les indigènes. — Singulière coiffure. — Première visite à Antandroroho. — Hospitalité des Malgaches. — Les Européens à Tamatave. — Le Malgache parisien. — Rapports de famille.

Les indigènes de Tamatave me semblèrent encore plus affreux que les nègres ou les Malais ; leur physionomie offre l’assemblage de ce que ces deux peuples ont de plus laid : ils ont la bouche grande, de grosses lèvres, le nez aplati, le menton proéminent et les pommettes saillantes ; leur teint a toutes les nuances d’un brun sale. Beaucoup d’entre eux ont pour toute beauté des dents régulières et d’une blancheur éclatante, quelquefois aussi de jolis yeux. En revanche, leurs cheveux noirs comme du charbon, crépus et cotonneux, mais infiniment plus longs et plus rudes que ceux du nègre, atteignent quelquefois une longueur de près d’un mètre. Quand ils les portent vierges, cela les défigure au delà de toute expression ; leur visage se perd dans une vaste et épaisse forêt de cheveux crépus. Heureusement les hommes les font souvent couper tout ras sur le derrière de la tête, tandis qu’ils les laissent pousser par devant, tout au plus de quinze à vingt centimètres ; mode qui leur donne aussi un air très-drôle, car les cheveux montent tout droit en forme de toupet finement crépu ; mais ce n’est pourtant pas aussi affreusement laid que la forêt vierge.

Les femmes, et quelquefois aussi les hommes fiers de leur précieuse chevelure et qui ne peuvent se décider à la couper, en font une multitude de petites tresses que les uns laissent pendre tout autour de la tête, dont d’autres forment des nœuds ou des torsades dont ils se couvrent toute la tête. Ce genre de coiffure exige un temps et un travail infinis, surtout chez les femmes malgaches d’un rang élevé, qui font arranger leurs cheveux en un nombre infini de petites tresses. J’en ai compté plus de soixante chez une de ces merveilleuses beautés. Les esclaves de la bonne dame avaient certainement mis une journée entière à les faire. Il est vrai qu’une pareille coiffure ne demande pas à être renouvelée à chaque instant et se conserve huit jours et plus dans toute sa beauté.

Quant à la taille des Malgaches, elle est en général au-dessus de la moyenne. J’ai vu surtout beaucoup d’hommes d’une haute et forte stature.

Leur costume est à peu près celui de tous les peuples à demi sauvages, qui ne vont pas tout à fait nus. Les deux principaux vêtements dont se servent les Malgaches s’appellent sadik et simbou. Le premier, presque aussi simple que la feuille de figuier d’Adam, consiste en un petit morceau d’étoffe de trente centimètres de large et de soixante de long, qui est jeté autour des cuisses et passé entre les jambes. Beaucoup d’indigènes trouvent cela suffisant et n’ont pas d’autre costume. Le simbou est une pièce d’étoffe blanche d’environ trois mètres de long et deux de large. Ils s’enveloppent et se drapent dans le simbou comme les Romains dans leur toge et souvent avec beaucoup de grâce ; quelquefois ils le roulent pour être plus libres dans leurs mouvements et l’attachent autour de la poitrine.

Le costume des femmes est le même que celui des hommes, seulement elles s’enveloppent davantage et ajoutent souvent encore au sadik et au simbou un troisième vêtement, une courte jaquette collante à longues manches, qu’elles appellent kankzou. Le simbou occupe sans cesse les hommes et les femmes : il glisse toujours, et il faut à tout instant le rejeter autour du corps ; on peut dire que les gens n’ont ici qu’une main pour travailler ; l’autre est exclusivement occupée du simbou.

La nourriture des Malgaches est aussi simple que leur costume. Les principaux éléments du repas sont le riz et une espèce de légume qui ressemble à nos épinards et qui serait de très-bon goût si on ne l’apprêtait pas avec de la graisse rance. Les gens qui vivent près des fleuves ou sur les côtes de la mer mangent aussi quelquefois, mais très-rarement, du poisson. Ils sont beaucoup trop paresseux pour s’occuper sérieusement de la pêche. Quant à la viande ou à la volaille, bien qu’on la trouve en grande abondance et aux prix les plus modérés, on n’en mange que dans les grandes occasions. On fait ordinairement deux repas, l’un le matin, l’autre le soir ; la boisson qu’on prend en mangeant est le ranagung (eau de riz), qu’on prépare de la manière suivante : on cuit du riz dans un vase et on le brûle exprès un peu, de manière qu’il se forme une croûte au fond du vase ; puis on y verse de l’eau et on fait bouillir. Cette eau prend une couleur de café très-pâle et un goût de brûlé, affreux pour le palais d’un Européen, mais que les indigènes trouvent délicieux ; ils mangent aussi la croûte brûlée avec le plus grand plaisir.

Les Malgaches entretiennent beaucoup d’esclaves,