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courte durée de son règne. La conquête d’une grande partie de l’île, l’abolition de la peine de mort pour beaucoup de crimes, la défense de faire la traite avec l’étranger, la création d’une armée bien disciplinée, l’introduction de beaucoup de métiers européens, tout cela fut son œuvre. C’est sous son règne que furent instituées les premières écoles publiques et que l’on adopta les caractères latins pour la langue du pays. Toujours préoccupé de l’amélioration matérielle et intellectuelle de son empire, il n’y eut qu’une chose dont il ne voulut pas entendre parler, c’est de l’établissement de bonnes routes. Il croyait, comme la plupart des chefs de peuples à demi sauvages, que les mauvaises routes étaient les meilleurs remparts contre les Européens. Il mourut le 27 juillet 1828, à trente-six ans, de suites de débauches comme Alexandre, disent les uns, et de poison, affirment les autres. Sa mort mit non-seulement fin à l’influence des Anglais, mais aussi à celle de tout autre peuple européen. Sa première femme, Ranavalo, lui succéda sur le trône et ajouta à son nom le titre royal de manjaka.

Cette femme cruelle et sanguinaire commença son règne en faisant exécuter sept des plus proches parents du feu roi ; suivant les rapports du missionnaire M. Guillaume Ellis, on ne tua pas seulement tout ce qui appartenait à la famille de Radama, mais aussi les nobles placés près du trône, et que Ranavalo craignait d’y voir élever des prétentions.

Baobab de Madagascar. — Dessin de E. de Bérard d’après nature.

Elle rompit sur-le-champ le traité conclu avec Radama par les Anglais. Sa haine contre ce dernier peuple était si grande qu’elle s’étendait à tout ce qui venait d’Angleterre et jusqu’aux animaux importés de ce pays. Tous les hommes d’origine vraiment anglaise furent tués ou du moins bannis de ses États. Les Français ne trouvèrent pas non plus grâce à ses yeux ; elle ne voulait pas du tout entendre parler de civilisation, et elle s’efforça d’en étouffer tous les germes. Elle chassa les missionnaires, défendit la propagation du christianisme et mit entrave à tous les rapports avec les Européens. Ses sujets, surtout ceux qui ne sont pas de la tribu des Hovas, dont elle est issue elle-même, sont traités par elle avec la plus grande rigueur et même avec cruauté. Pour les moindres fautes elle leur inflige les peines les plus dures, et chaque jour elle fait exécuter des sentences de mort. Depuis son avénement Ranavalo n’a cessé de régner par la terreur.


Présentation à la cour. — Le manasina. — Le palais de la reine. — Atrocités du gouvernement de la reine. — Exécutions. — Le tangouin. — Persécution des chrétiens. — Haine contre les Européens. — M. Lambert et le prince Rakoto.

Le 2 juin eut lieu notre présentation à la cour. Vers, quatre heures de l’après-midi nous nous fîmes porter au palais, au-dessus de la porte d’entrée duquel plane un grand aigle doré aux ailes déployées. Conformément à l’étiquette, nous franchîmes le seuil le pied droit en avant, et de même le seuil d’une seconde porte qui conduisait à une grande cour devant le palais. Là nous vîmes la reine assise sur le balcon du premier étage. On nous fit ranger dans la cour sur une ligne en face d’elle. Sous le balcon, des soldats faisaient quelques exercices dont le dernier était des plus burlesques ; il consistait à lever brusquement le pied droit comme s’ils avaient été piqués par la tarentule.

La reine, selon l’usage du pays, était enveloppée d’un large simbou de soie, et comme coiffure elle portait une énorme couronne d’or. Quoiqu’elle fût assise à l’ombre, on n’en tenait pas moins déployé au-dessus de sa tête un très-grand parasol en soie cramoisie, qui fait partie de la pompe royale. D’un teint assez foncé, d’une forte complexion, elle est, malgré ses soixante-quinze ans, et pour