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souvent en pierres ou en coquillages, remplaçant les buis ou les gazons, donnent à l’aspect de ces jardins quelque chose de sec et d’aride. La chaleur empêche les fleurs de se développer ou les développe trop tôt.

Jardin de la fazenda, à Ara-Piranga.

Le maître de la maison m’ayant fait plusieurs présents, cela m’avait réduit au silence ; car en arrivant je disais franchement mon avis sur certaines choses qui me plaisaient ; immédiatement on me les offrait avec une grâce parfaite.

On alla ensuite parcourir le pays ; nous chassâmes en chemin, bien abrités sous les bois, et nous arrivâmes ainsi de l’autre côté de l’île, où je fis un croquis de mangliers et ramassai des coquillages.

Le lendemain, après avoir plié les hamacs, on prit congé du maître de la fazenda. Mon parti était arrêté : des Indiens à peindre commodément, des oiseaux peu méfiants et en grand nombre, des allées sombres pour la photographie… Il fut convenu que je viendrais n’installer dans ce lieu. Effectivement quelques jours après, je profitai de la barque qui va et vient régulièrement de Pará à Ara-Piranga, et, M. Benoît en tête de mes bagages, nous vînmes nous installer dans l’île.

Je m’étais permis de dire à M. Benoît avec les plus grands ménagements, avant de partir, qu’il était complétement malpropre et abruti ; que je le priais de se modifier un peu par pudeur pour une maison étrangère : mon avertissement parut le toucher, il changea de cravate. Je n’osai pas insister sur le reste, me réservant de le pousser dans l’eau, par mégarde, le premier jour où j’irais me baigner.

Il n’y avait dans la maison, quand je revins à Ara-Piranga, que le frère du patron et un petit jeune artiste qui, sans avoir eu de maître, faisait les dessins de vases, quelquefois d’un style assez pur. Je m’installai de mon mieux dans une grande chambre ayant vue sur le fleuve, et pendant quinze jours je peignis tout à mon aise pour la première fois depuis mon départ d’Europe ; car chez le senhor X… ce n’était guère facile ; moins encore dans mon ancienne pauvre case, ou la porte-fenêtre avait à peine cinq pieds de hauteur, tandis que les feuilles du toit, descendant fort bas, interceptaient la lumière.

Quand je fus fatigué de peindre, je pris mon fusil. Je rencontrai sur mon chemin deux nègres esclaves de la fazenda ; ils me suivirent ; ils me montraient des oiseaux à tirer quand je ne les voyais pas. En poursuivant une perruche nous entrâmes dans le bois. J’avais déjà témoigné le regret de ne pas rencontrer de serpents. Mes nègres en avaient vu de différents côtés, entre autres un boa énorme, qu’ils s’engagèrent de guetter et de m’apporter vivant. Ces braves gens me contèrent toutes sortes d’histoires au sujet de ce reptile dangereux : il avait mangé des animaux d’une grandeur fabuleuse ; mais, puisque cela me faisait plaisir, demain au plus tard il serait pris en jouant.

Nous nous glissâmes pendant quelque temps à travers les lianes, et j’essayais de franchir un tronc d’arbre abattu par la foudre, quand de l’autre côté je vis étendu