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canot et auquel il demanda des renseignements, lui dit que dans la ville habitait le lieutenant-colonel de la garde nationale.

Depuis peu de temps, une tribu sauvage de Maöes (ils portent le même nom que la ville), s’était établie sur les bords du fleuve. Je désirai les voir et les peindre. On me donna un garde pour me protéger, et de plus on fit appeler un vieux Maöes civilisé, qui était capitaine dans la garde nationale. Il devait partir pour la malloca dans la nuit et prévenir les Indiens de mon arrivée, afin que je n’eusse pas à attendre, car j’étais de nouveau soufrant et je ne voulais passer là que quarante-huit heures.

En attendant la nuit, je me mis à courir le pays. Maöes, comme toutes les petites villes de l’Amazone, se compose d’un amas de cases sans régularité. Le colonel habitait dans une grande rue où plusieurs maisons, pareilles à la sienne, s’élevaient plus haut que les cases, et de même qu’à Santarem, Serpa, Villabella, étaient enduites de chaux et quelquefois peintes en jaune ou en rouge, bien que souvent elles fussent recouvertes avec des feuilles de palmier.

Le colonel me conduisit près d’un tir à l’arc, et j’ai été émerveillé de l’adresse de très-jeunes enfants, qui touchaient souvent le but sans avoir l’air de regarder.

Le lendemain, le nouveau garde était à son poste, et je commençais à désespérer de pouvoir partir, quand mes hommes, que je n’avais pas vus depuis la veille, revinrent vers huit heures. Ils s’étaient enivrés, mais j’avais pris depuis longtemps le parti de ne rien dire.

Chasse à la sarbacane.

Nous n’atteignîmes que bien avant dans la nuit le but de notre course. La lune paraissait à peine et j’eus beaucoup de difficulté à grimper sur un terrain en pente comme un talus. Depuis une bonne demi-heure le plus étrange bruit se faisait entendre ; à mesure que j’approchais, il devenait étourdissant.

Arrivé au sommet, le garde s’arrêta ainsi que moi. Nous avions sous les yeux le spectacle le plus inattendu. Toute la petite tribu, dans une bonne intention, à ce que j’appris plus tard, donnait un charivari à la lune pour l’éveiller, car il paraît qu’elle s’était laissé endormir par une éclipse. J’ai su depuis que les Indiens se trompaient souvent et prenaient ces nuages noirs, si fréquents dans le voisinage de la ligne, pour des éclipses. J’aurais bien voulu faire de cette sérénade un croquis d’après nature ; mais j’étais complétement dans l’ombre. L’un frappait avec une pierre contre un grand plat de fer, destiné à cuire la farine de manioc, et pour obtenir un beau son l’avait suspendu à un arbre ; plusieurs autres musiciens tapaient ainsi sur cet instrument sonore ; des enfants s’escrimaient avec des sifflets en os de chèvre ou de mouton ; d’autres soufflaient dans de grands bâtons creux, immenses porte-voix avec lesquels on appelle les ennemis au combat ; le reste de la troupe frappait à tour de bras sur ces tambours formés d’un tronc d’arbre et recouverts d’un seul côté d’une peau de bœuf ou de tapir.

La lune, en se montrant tout entière, fit taire tout le monde ; chacun rentra chez soi. Comme je n’avais plus