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véritable caravane, a été organisée à grands frais, et les deux voyageurs sont partis de Zanzibar à la fin d’octobre 1860. Les dernières nouvelles connues que l’on a d’eux sont datées du 12 décembre ; la caravane était arrivée au pays d’Ugogo.

Speke reprend ainsi la route qu’il a parcourue en 1858. Son plan est de revenir au Nyanza, et de partir du point où il a dû s’arrêter dans sa première expédition pour gagner de là Gondokoro en explorant le pays intermédiaire.

Pour assurer davantage encore la réussite de ce plan, d’autres dispositions ont été prises.


V

Un Anglais nommé John Petherick, qui vint, il y a seize ans, offrir ses services à Méhémet-Ali comme ingénieur des mines, et qui depuis 1846 s’est établi à Khartoum pour y faire la traite des gommes et de l’ivoire, a depuis lors entrepris pour ce dernier objet un assez grand nombre de courses dans les hautes régions du fleuve. Dénué, malgré son titre d’ingénieur, de tout moyen d’observations scientifiques (c’est lui-même qui nous l’apprend), et très-probablement n’ayant jamais tourné ses vues de ce côté, il a fait, ni plus ni moins, durant ses diverses excursions, ce qu’ont fait tous les Européens qui se sont adonnés au même trafic dans le Soudan égyptien : il s’est enquis des différents peuples et des tribus du haut pays, de la situation de leur territoire, de son accès plus ou moins facile, de leurs habitudes, de leurs dispositions, de leurs rapports avec les populations environnantes, toutes choses dont il importe au traitant d’être exactement informé. Dans une contrée aussi neuve pour nous, ces sortes de renseignements n’en sont pas moins d’un grand intérêt ; ce sont les premiers jalons plantés sur un terrain vierge, pour en préparer l’accès aux véritables explorateurs. Un volume publié il y a six ans par un des collègues de M. John Petherick, le Savoisien Brun-Rollet, nous a donné la mesure de ce qu’on doit attendre de ces sortes de publications[1]. M. Petherick, lui aussi, pensa (et non sans raison) que la publication de ses notes pourrait être utile ; dans un voyage qu’il fit à Londres en 1860, il en communiqua quelques-unes à la Société de géographie, laquelle, naturellement, l’encouragea dans son projet de publicité. Ses matériaux, toutefois, n’étaient pas bien nombreux, et n’auraient fait qu’un mince volume ; mais les libraires anglais sont particulièrement experts en ces matières. Un nombre convenable de chapitres préliminaires, étrangers au sujet, il est vrai, mais qui avaient, à défaut d’autre utilité, celle d’amener le volume à point ; un titre sonore[2], force réclames longtemps avant l’apparition du livre, afin d’éveiller la curiosité et de poser l’auteur et son ouvrage, force réclames après pour affirmer le succès, et la chose est faite. C’est le procédé ordinaire.

Nous sommes d’ailleurs bien loin d’imputer à M. Petherick lui-même ces habiletés dont il y a peut-être quelque naïveté de s’émouvoir encore ; d’autant plus que parmi des assertions plus que hasardées, telles que l’idée où est l’auteur qu’il s’est avancé jusqu’à l’équateur, le livre renferme des informations neuves et réellement instructives. Avant lui, tous les renseignements qu’on nous a donnés sur ces hautes régions ne s’éloignaient guère du Nil Blanc ; le premier il s’est ouvert une nouvelle route à l’ouest du fleuve. Il nous a fait ainsi connaître de nouvelles tribus et de nouveaux territoires ; on lui doit les premières notions un peu précises sur un lac d’une assez grande étendue, le Bahr-el-Ghazal, qui se déverse dans le fleuve Blanc vers le neuvième parallèle, et qui lui-même reçoit des rivières considérables. Ce sont là des titres suffisants pour donner aux notes de M. Petherick une place estimable parmi les modernes relations des explorateurs africains.

Une place plus élevée peut-être lui est ouverte dans les prochaines explorations du capitaine Speke, à laquelle il est appelé à concourir.

Comme on a prévu qu’après une marche de dix mois au moins à travers l’Afrique australe, le capitaine Speke et sa caravane, en admettant qu’aucun accident imprévu ne leur vienne à la traverse, arriveraient probablement à Gondokoro dans un état de grand épuisement, on a jugé utile de préparer à l’expédition un ravitaillement et de nouvelles forces pour la dernière partie de ses travaux. M. Petherick s’est offert pour cet objet, et ses services ont été agréés. Il a reçu une somme importante pour se procurer à Khartoum un petit bateau à vapeur muni des provisions nécessaires, avec lequel il remontera le fleuve Blanc à la rencontre du capitaine. Ses instructions lui prescrivaient de prendre ses mesures pour arriver à Gondokoro dans les premiers jours d’octobre, Speke, selon ses prévisions, devant atteindre ce point vers la même époque. Il se peut donc qu’à l’heure qu’il est[3] les voyageurs se soient rejoints, et que le problème depuis si longtemps soulevé soit résolu. Il serait toutefois hasardeux de compter que les prévisions tracées dans le cabinet se réalisent à jour fixe ; de pareils voyages sont sujets à trop d’imprévu. Dans tous les cas, les nouvelles de ce qui se passait à Gondokoro au mois d’octobre demandant quatre mois au moins avant de parvenir en Europe, on n’y peut guère compter avant le mois de février prochain. M. Petherick doit attendre l’expédition du sud pendant un temps déterminé. Si le capitaine Speke le rejoint, on avisera, selon les circonstances, aux recherches ultérieures.


VI

Il se pourrait qu’indépendamment de M. Petherick, du capitaine Speke et du docteur Peney, un quatrième voyageur, et peut-être un cinquième, se trouvassent aussi transportés sur le même champ d’explorations. L’un

  1. Le Nil Blanc et le Soudan. Paris, 1855, un volume in-8o.
  2. Egypt, the Soudan and Central Africa, with explorations from Khartoum on the White Nil to the regions of the equator. By J. Petherick. London, 1861, un volume.
  3. Ces lignes ont été écrites au milieu d’octobre.