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grand personnage, très-bien en cour, et qu’il fallait me ménager. Qu’allaient penser maintenant les voisins à la nouvelle que j’avais rompu avec lui pour aller vivre seul dans les bois, sans autre protection que mon fusil ! Mais que m’importait le signor X… Désormais, j’étais bien réellement libre ! Ce fut avec joie que je sortis de mes malles tous mes ustensiles et un hamac dont je n’avais pas fait usage jusqu’alors. Avec le secours de Manoël, il ne me fallut pas plus de deux jours pour rendre mon petit intérieur tout à fait confortable…

Indienne du Brésil, province de l’Espírito-Santo.


Je donne des soirées aux Indiens. — Travaux. — Les Indiens Botocudos.

Le lieu que j’habitais était le sommet d’une colline plus éloignée de la rivière que ma première demeure. En face de moi, les montagnes, toujours boisées, se dessinaient en belles lignes ondulées sur le ciel. On apercevait au loin une case autour de laquelle on avait, selon l’habitude, enlevé les arbres. Les Indiens y allaient le dimanche boire de la cachasse et passaient à cette occasion près de mes domaines. Peu à peu ils se familiarisèrent en me voyant chasser non-seulement les oiseaux, mais les quadrupèdes, les sauriens et les serpents. Ils vinrent m’en apporter eux-mêmes, et heureusement j’étais en mesure de payer leur peine ; j’avais fait venir de Santa-Cruz une provision de petite monnaie. Tous les dimanches, les indigènes des deux sexes prirent l’habitude de venir me voir. Je m’étais aussi procuré de la cachasse ; ils la sentaient de loin. Je profitai de ces visites pour les faire poser et me remettre aux tableaux que j’avais été forcé d’abandonner, et, à peu d’exceptions près, je ne rencontrai plus les difficultés qui m’avaient arrêté longtemps.

Indien du Brésil, même province.

Un dimanche, j’étais fatigué, et je revins de bonne heure à ma case : ma chasse n’avait pas été très-heureuse. Déjà, selon l’habitude qu’avaient prise les Indiens pour lesquels je n’étais plus un objet de crainte superstitieuse, plusieurs d’entre eux étaient assis chez moi. Quelques instants après j’eus la surprise de voir entrer les parents du pauvre Almeyda qui au dire de mon hôte devaient si fort s’irriter en me voyant peindre le mort et qui avaient été la cause de mon départ. Ils venaient d’eux-mêmes s’offrir à mon pinceau. J’en peignis deux en présence de l’assemblée, et j’entendis répéter de tous côtés en forme d’éloges pour la ressemblance : tali qual (tel quel). Si j’avais été disposé à continuer, je n’aurais eu qu’à choisir. Je donnai pour chaque étude environ la valeur de cinquante centimes. Ensuite vint, comme d’usage, la distribution de la cachasse, aux hommes d’abord, et après eux aux dames. Ma générosité allait à une bouteille par réception. Une fois que tout était bu, la société s’en allait, sans même dire « Adieu sô Bia. » J’avais bien quelques protégées, celles qui n’avaient pas encore posé : je tenais en réserve quelques petits verres à leur intention. L’une d’elles, profitant de ce que je m’étais absenté un instant, me vola une bouteille et but à la hâte tout ce qu’elle contenait. Un instant après elle se mit à pousser des hurlements en faisant des contorsions épouvantables. Au milieu de ses cris, je compris qu’elle se croyait empoisonnée. Elle disait qu’elle avait avalé une de mes drogues. J’avais prudemment fait courir le bruit que plusieurs de mes bouteilles contenaient du poison, et mes doigts tout noirs de nitrate d’argent en paraissaient un témoignage irrécusable. Du reste,