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din de Bagdad, aussi bien que le Beddaoui ou Bédouin du désert, a un caractère particulier dont les signes se montrent en toutes choses. Je me représentais d’ailleurs cette ville pleine encore de souvenirs de la grande époque où la puissance des khalifes la couvrit de gloire. Je m’attendais à y voir, à chaque pas, quelques restes des merveilles de cette ère célèbre de l’islamisme, et il n’y avait pas jusqu’aux réminiscences des contes de Cheherazad qui n’éveillassent chez moi des pensées bizarres empruntées aux Mille et une nuits. Mais, il faut le dire, Bagdad est bien déchue. Sous une épaisse poussière est enseveli le pied des édifices où se retrouve à peine visible la trace d’Haroun-el-Rechid et de Zobéidèh. Çà et là on découvre, dans quelques coins des bazars, sur le rivage du Tigre, au milieu des décombres qui ont perdu leur nom, des pans de murs sur lesquels se lisent avec peine des fragments d’inscriptions coufiques, un minaret dont l’origine ancienne est attestée par sa ruine même, et quelques débris de portail émaillé dont les mosaïques de couleur se détachent sur un fond de maçonnerie brisée, sans que les Turcs se soucient de la disparition de ces témoins d’une civilisation rivale de celle de Byzance. À l’exception de ces débris aussi rares que dénués d’intérêt, on remuerait vainement la poussière accumulée dans Bagdad. On peut dire que cette grande ville n’a rien conservé qui rappelle ses glorieux khalifes. On y cherche en vain ces vieux temples mahométans où les fanatiques Abassides demandaient au prophète de retremper leur cimeterre avant de courir à de nouveaux et barbares exploits. Si la trace de cet âge héroïque de l’Islam n’est point entièrement effacée à Bagdad, elle y est cependant tellement incertaine, tellement perdue au milieu des ruines entassées dans cette noble cité, que le souvenir seul du passé est resté debout à côté de la dévastation du présent. Les onze siècles qui se sont écoulés depuis sa fondation par Abou-Safer-el-Mansour, les guerres, les envahissements des Turcomans rebelles à l’autorité des khalifes, les inondations du Tigre, et jusqu’aux orages venus du désert, tout a contribué à la destruction des splendides édifices dont la civilisation arabe et une foi exaltée avaient doté cette superbe reine de l’Orient. — Le voyageur doit aujourd’hui renoncer à ses illusions sur Bagdad. Il faut qu’il se contente d’y chercher la ville moderne, d’y voir ses mosquées nouvelles, ses arts qui ont quelque analogie avec ceux de la Perse. Il y trouvera encore assez d’aliments pour rassasier sa curiosité, sinon pour exciter son admiration. Le fleuve arabe, le beau ciel de la Mésopotamie, qui reflète son azur sur les faïences des coupoles, quelques mosquées, des bazars pittoresques, l’affluence bigarrée de presque toutes les nations de l’Orient, lui offriront encore assez de tableaux attrayants pour que Bagdad reste dans son souvenir.

Bagdad a l’aspect d’une grande ville, et, de loin, ses minarets la font distinguer au milieu de l’immense désert qui l’entoure et où elle semble placée comme une oasis. Du côté de l’Orient, elle est fermée par une vaste ceinture de murailles en assez bon état, que protégent quelques bastions et un large fossé facilement submersible par les eaux du Tigre. Cette enceinte s’appuie, à ses deux extrémités, au rivage du fleuve qui baigne la partie occidentale de la ville. C’est de ce côté que Bagdad se présente sous son plus bel aspect. Le palais du pacha, les mosquées, les cafés, les maisons ou les jardins qui se succèdent en se reflétant dans l’eau qui les baigne, forment un très-beau coup d’œil. Derrière cette ligne d’édifices ou de maisons au pied desquels coule le Tigre, se groupent les divers quartiers de la ville au travers desquels circulent de nombreuses rues, de grands bazars, et où s’élèvent çà et là plusieurs mosquées. L’une des plus belles est la mosquée du Meïdân ou d’Ahmet-Khiaïa ; elle est entièrement recouverte de briques émaillées qui forment de gracieuses arabesques aux plus vives couleurs. Elle domine une grande place ou Meïdân sur laquelle s’ouvrent des cafés, des boutiques, des caravansérails, et qui, le matin, est encombrée d’Arabes qui viennent y vendre leurs melons, pastèques, poules et autres denrées. C’est aussi le lieu d’arrivée ou de départ des caravanes du Nord ; leurs nombreux chameaux et mulets y sont déchargés de leurs lourds fardeaux, en attendant ceux qu’ils doivent transporter vers l’Asie Mineure. Près de là est la porte Bab-el-Khâdem, à côté de laquelle est une autre petite mosquée dont l’entrée remarquable présente une porte en ogive ornée de dessins en relief, composés avec de petites briques dont les arrangements forment comme des espèces de broderies gracieuses. Au-dessus une sorte d’auvent en bois découpé abrite cette porte contre les rayons verticaux du soleil.

La partie de la ville comprise entre le Tigre et la muraille est très-vaste ; mais il s’en faut de beaucoup qu’elle soit entièrement couverte d’habitations. À l’est et au sud s’étendent de vastes terrains sur lesquels s’élèvent quelques ruines, et dont la plus grande superficie est abandonnée à la pâture que viennent y chercher les chameaux. Au milieu de ce sol inculte et abandonné, s’élève le tombeau d’un cheik. C’est un petit monument surmonté d’une espèce de pyramide ou de cône dont toute la surface est ornée de facettes cannelées. Attenant à ce mausolée est un jardin clos de murs crénelés, au-dessus desquels montent des touffes d’arbres surpassées par les tiges souples et gracieuses de quelques palmiers. Alentour sont disséminées, en assez grand nombre, des tombes modestes dont les briques dépassent à peine la surface du sol.

Par l’étendue de l’enceinte fortifiée de Bagdad, qui date des khalifes, on voit que cette ville eut autrefois une importance incomparablement supérieure à celle qui lui reste. La population actuelle n’est plus que d’environ cinquante mille habitants, parmi lesquels on compte un grand nombre de chrétiens de diverses communions, et des juifs.


Environs de Bagdad. — Le pont. — Le Tigre. — La mosquée Imam-Moussa. — Le tombeau de Zobeïdèh.

En face du quartier bâti sur la rive gauche du Chatt — c’est le nom que les Arabes donnent au Tigre — s’en