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venir de l’agriculture qu’à celui de l’industrie et du commerce.

Ce pays, passé sous le joug des Annamites, lorsque vers la fin du siècle dernier s’écroula le vieux royaume de Cambodge, formait naguère une vice-royauté divisée en six provinces, classées dans l’ordre suivant, en allant de l’est à l’ouest :

Province de Bien-Hoa, capitale Bien-Hoa ;
de Gia-Dinh, Saigon ;
de Dinh-Thuong, Mythô ;
de Ang-Giang, Chaudoc ;
de Long-Hô, Vinh-Loung ;
d’Athien, Athien.

La population de ces provinces se compose d’anciens indigènes cambodgiens, d’Annamites venus dans le pays depuis moins d’un siècle, et enfin de Chinois émigrés du Céleste-Empire. C’est peut-être l’estimer trop haut que d’en fixer le chiffre à deux millions d’habitants.

Sous le gouvernement cochinchinois, chacune de ces provinces était régie par un mandarin gouverneur, relevant du grand mandarin résidant à Saigon. La province se divisait en plusieurs sous-préfectures, gouvernées par des mandarins de classes diverses, suivant le rang des villes. Enfin, au-dessous des préfectures, l’administration était confiée, par groupes de dix villages, à des fonctionnaires inférieurs, qu’on pourrait comparer à nos maires de cantons, et chaque village avait à sa tête un maire et un adjoint, assistés d’un conseil de lettrés ou de notables. Ces fonctionnaires et ces municipalités, joignant aux attributions qu’on leur accorde parmi nous celles d’agents de la force publique, de juges, de censitaires pour l’assiette du recrutement et de l’impôt, offraient à une administration européenne des instruments tout préparés. Les Français profitent à l’heure actuelle de ce système de centralisation. Ils trouvent un auxiliaire non moins puissant dans le caractère de la population. Elle est douce, polie, intelligente, et surtout passive. Faible et débile dans les cités, forte et laborieuse dans les campagnes, elle est partout âpre au gain. Rendue fourbe par l’arbitraire et la tyrannie, elle cache sa ruse native sous un masque de crainte : très-facile à mener, elle tend le front à n’importe quel joug, et a par-dessus tout un grand respect pour l’autorité, dont elle ne discute jamais les actes, les ordres et l’origine.

Le riz dont cette population se nourrit presque exclusivement est tout à la fois l’objet de la principale culture et du principal commerce de la contrée. Mais ce sol fertile, où la chaleur et l’humidité se combinent dans les conditions les plus heureuses, produit également la canne à sucre, l’indigo, le tabac, le coton, le cinnamome, plusieurs variétés de mûriers, sur lesquels les vers à soie peuvent vivre et prospérer en plein air. — Le cocotier, le manguier, le mangoustan, l’oranger, l’attier, le grenadier, le pamplemousse, l’aréquier, le bananier, l’ananas, croissent et se multiplient presque sans culture autour des habitations. Un peu de soins ferait prospérer de même la cannelle, la muscade, le poivre, toutes les épices des îles de la Sonde et des Moluques.

On peut juger, par cette seule énumération, du parti qu’une bonne administration peut tirer de la basse Cochinchine. À ce sujet, un journal de Sincapour, que sa qualité d’anglais ne rend pas suspect de flatterie à notre égard, appréciait dernièrement dans les termes suivants notre établissement sur ces rives lointaines :

« Les Français, en faisant succéder immédiatement à la conquête l’ordre et la sécurité, ont bien mérité de leurs nouveaux sujets. Ils ont nommé des maires dans tous les villages et les ont choisis autant que possible parmi les anciens titulaires, ce qui produit un excellent effet sur les indigènes.

« Les habitants de la ville chinoise (bâtie dans une crique ou branche de la rivière de Saigon, à trois milles de cette capitale) avaient, tout d’abord, pris la fuite en masse, par crainte des Français ; ils sont pour la plupart revenus à l’heure actuelle, et les bords de la rivière portent des marques visibles d’activité commerciale. Dans la seule période de 1860, le commerce d’exportation de la seule ville de Saigon a dépassé vingt millions de francs. Les Français ont droit à de grands éloges pour les ouvrages publics de toute espèce qu’ils ont construits. Réduits, comme ils l’ont été, à des ressources et à des forces minimes pendant la plus grande partie de l’année 1860, tenus constamment sur le qui-vive par l’ennemi qui s’approchait souvent de leurs retranchements, à moins de 300 mètres de leurs postes avancés, opérait des attaques nocturnes, menaçait les communications et enlevait tout ce qui se hasardait en dehors des retranchements, les Français ont pourtant réussi, la bêche et la truelle d’une main, et le sabre ou la carabine de l’autre, à bâtir des hôpitaux pour plusieurs centaines de malades, et des casernes pour plusieurs milliers d’hommes ; ils ont, dans le même temps, élevé de solides fortifications et créé plusieurs milles d’excellentes routes. En outre, depuis qu’ils se sont emparés de l’intérieur du pays, des routes ont été ouvertes ou réparées, les forts occupés par eux assainis, et les magasins à riz, de grands hangars, changés en casernes commodes. Rien ne s’oppose à ce que la basse Cochinchine, si elle est bien gouvernée, ne devienne en peu d’années une des plus riches contrées de l’Orient. L’intérieur du pays, qui n’a pas encore été exploré, abonde, assure-t-on, en minéraux, en étain, en cuivre, en zinc, etc. Le pays n’est que faiblement peuplé maintenant, mais un bon gouvernement, en assurant la sécurité des habitants, ne peut manquer d’attirer bientôt un grand nombre d’émigrants des États environnants.

(Sincapoura Free Press.)