par la pluie, par le brouillard, ce fouet dont il frappait les prêtres le frappe à son tour. Il galope d’un galop infernal, sans repos ni trêve, à la poursuite d’une proie impossible, autour de son château en ruine, sur les rives du lac de Gurre et dans les bois de Grib.
Telle est la légende que les moines d’avant la réforme cherchaient à accréditer ; celle qui a cours aujourd’hui parmi les paysans en diffère un peu. Mainte ancienne ballade, maint chant moderne célèbrent les gestes du royal fantôme, resté populaire en dépit de tout.
Et comment démentir les chanteurs, quand ils affirment en témoins ? Il n’y en a pas un, de ceux du moins que nous avons interrogés, qui n’ait rencontré plusieurs fois l’ombre errante et haletante du pauvre Waldemar Atterdag, dont le supplice durera jusqu’au jugement dernier.
C’est dans les nuits d’été, si transparentes, si admirablement belles dans les cieux du Nord, qu’on entend les meutes, les hennissements, les fanfares de la grande chasse du roi Volmer (Köng Volmers Jagt). Cette chasse va souvent de Gurre jusqu’à Vordinborg, mais la tradition la plus répandue veut qu’elle sorte de Gurre, passe par le Daustrup-Hegn, le Brode-Skov pour se diriger vers Lystrup, où se trouvent encore des vestiges d’un des châteaux de chasse du roi. Il y a encore de vieux paysans qui ne manquent pas, dans la nuit de la Saint-Jean, de laisser ouvertes leurs écuries et leurs hangars pour que le roi et sa suite puissent trouver un abri. À Borrstingerod, village situé à mi-chemin, entre Gurre et Lystrup, le palefrenier de l’auberge, avant d’aller se coucher, dans cette même nuit de la Saint-Jean, n’oublie pas d’ouvrir à deux battants les portes de l’écurie et de bien remplir les mangeoires d’avoine et de foin. Le lendemain tout a disparu ; mais le bonheur est assuré à l’auberge et à son propriétaire tant qu’on ne cessera pas de témoigner par cette pieuse offrande, intérêt et hommage au royal chasseur.
Après la légende, interrogeons l’histoire :
Waldemar III avait été surnommé Atterdag parce qu’il disait souvent ce mot, qui signifie : il y a du temps pour tout. C’était un beau mot de confiance dans la bouche d’un homme qui avait tant à faire. Waldemar, en effet, fut un roi plein d’œuvres. L’anarchie était partout lors que le trône lui échut. Il y avait révolte sur révolte. Les seigneurs étaient en possession de la plupart des forteresses de la couronne. Les comtes de Holstein détenaient presque toute la Fionie. L’émeute organisée avait usurpé le pouvoir dans presque toutes les provinces du Danemark.
Le roi Waldemar Atterdag se proposa un grand but, ce fut de rétablir l’unité du gouvernement dans cette sédition universelle, et l’ordre dans ce chaos. Il y parvint à la longue, tantôt par les armes, tantôt par les négociations. Sa tâche fut immense. Il était naturellement pieux, ce qui ne l’empêchait pas d’être indépendant d’esprit. Il alla en terre sainte, où il se fit recevoir chevalier du Temple ; il accomplit le voyage d’Avignon (1354), et il accepta du pape Innocent VI la rose d’or. Malgré ses pèlerinages, Waldemar ne défendait pas son autorité moins énergiquement contre les moines que contre les seigneurs. Cette conduite ferme indisposa Grégoire XI, qui prit parti pour la noblesse du Jutland et qui exhorta Waldemar à céder, sous la menace de l’excommunication. Le roi indigné répondit au pape :
« Waldemarus rex romano pontifici salutem : Vitam habemus a Deo, regnum ab incolis, divitias a parentibus, fidem vero a tuis predecessoribus, quam si nobis non faves, remittimus per præsentes. Vale. »
« Waldemar roi au pontife romain, salut. Je tiens la vie de Dieu, le sceptre de mes sujets, les richesses de mes ancêtres ; je ne tiens de vos prédécesseurs que le culte. Si vous persistez à vous en prévaloir contre moi, je vous le rends par les présentes. Adieu. »
Cette lettre, textuelle ou non, explique assez les colères ecclésiastiques et cette sorte de réprobation qui pèse encore, par la légende, sur Waldemar Atterdag. Ce que les abbés des couvents de Séeland lui reprochèrent amèrement, ce ne fut pas son amour pour la belle Tovil de Rugen, ce fut sa désobéissance au pape et aux évêques. Il était un libre penseur à sa manière, l’habile et persévérant Waldemar. Quoi qu’il en soit, il mourut en paix dans sa retraite de Gurre. Sa vie avait été hardie, patiente, généreuse et glorieuse. C’est une bonne fortune pour moi de relever, au nom de la justice, ce prince méconnu, et de restituer à sa mémoire un nimbe de lumière dans les lieux mêmes de la légende calomniatrice, sur les débris du château, à la lisière de la forêt et au bord du lac de Gurre.
Nous avons continué par de grands bois qui durent, pendant douze lieues, jusqu’à Copenhague. Ils sont interrompus de temps en temps par des champs qui ne sont que des clairières.
Nous sommes arrivés ainsi à Frédensborg. Nous avons descendu en longeant les jardins jusqu’au lac d’Esrom. Ce lac a cinq lieues de tour. Il s’étend et se découpe dans la magnificence de ses flots d’azur entre la forêt de Grib et les arbres du parc de Fredensborg, dont les perspectives le découvrent et le rejoignent à chaque instant. C’est par ces perspectives, sous l’ombre des hêtres, des bouleaux, des chênes, des sapins, des châtaigniers, à travers des percées ménagées çà et là sur le lac, que nous gravissons d’allées en allées, de carrefours en carrefours verdoyants, jusqu’au château. La vallée des sculptures a l’originalité de l’imprévu ; elle est remarquable par des statues de pierre qui représentent les paysans norvégiens sous leurs différents costumes.
Le château de Frédensborg fut bâti par Frédéric IV. Il a deux ailes et un corps de logis surmonté d’une coupole flanquée de quatre tourelles. Il est tout entier construit en briques blanches. Du grand salon, à petites vitres comme le château, le lac d’Esrom apparaît. Si la première façade sur la ville est jolie, la seconde façade sur les jardins est belle, surtout à cause de l’horizon du lac. Cet horizon magique nous a si bien attirés, que nous avons redescendu le parc et que peu à peu nous nous sommes trouvés au bord des eaux. Ce lac d’Esrom est