Elles devraient au moins se souvenir que c’est nous qui les avons mises en état de se donner ce plaisir. C’est Napoléon qui a fait grand-duc le margrave de Bade, et rois le duc de Wurtemberg et l’électeur de Bavière, en doublant leurs États. Je ne leur reproche pas d’avoir en 1813 trahi leur bienfaiteur, parce que la reconnaissance n’a jamais été une vertu à l’usage des hommes d’État, et qu’après tout, ils avaient bien quelques raisons d’agir comme ils l’ont fait ; mais je trouve mauvais que les chambres de Wurtemberg, lorsqu’elles firent élever, à Stuttgart, en mémoire du vingt-cinquième anniversaire du roi Guillaume, une colonne de granit de dix-huit mètres de haut, y aient fait sculpter les batailles de la Fère et de Brienne. À Berlin ou à Vienne ces bas-reliefs seraient de mise. À Stuttgart on se demande si c’est ce roi Guillaume qui, à lui seul, a terrassé le colosse dont naguère il baisait la main.
Et puis est-ce bien contre la France que ces princes doivent ameuter leurs peuples, sous prétexte de patriotisme allemand ? Les couronnes que nous avons données, nous n’avons nulle envie de les reprendre. La Confédération germanique semble à nos diplomates le chef-d’œuvre de l’esprit humain, et ils pensent que si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer ; car nulle machine n’a été aussi bien combinée pour enrayer un peuple ou le faire s’agiter dans le vide, tandis que les grandes affaires de l’Europe passent hors de la portée de sa main. Mais ne trouverait-on pas ailleurs, du côté du nord, par exemple, des conservateurs qui, pour mieux conserver la patrie allemande, réduiraient volontiers les princes au rôle de préfets ? J’ai vu dans l’histoire romaine bien des rois qui s’obstinaient à être plus Romains que le sénat jusqu’au jour où le sénat décrétait que leur royaume n’existait plus.
Le palais du roi est un château Pompadour, avec des colonnes aux chapiteaux enrubannés, des trophées d’armures enguirlandées de lauriers et de roses, de jolies statues et de vilaines sentinelles. Il est situé en contre-bas de la place et on le voit d’en haut, ce qui lui ôte encore de la grandeur ; mais le parc qui y tient et par lequel on peut gagner Cannstadt en voiture, à cheval ou à pied est charmant. Des bassins bordés de vases et de statues de marbre, de grandes allées et de beaux arbres lui donnent, d’un certain côté, une physionomie vraiment royale ; de l’autre, des eaux vives courant sous la futaie, des prairies, des arbres fruitiers épars au milieu des grandes herbes folles, lui conservent un caractère champêtre très-séduisant. Les jeunes officiers à taille de guêpe et les précieuses à tournure de cloche ne recherchent heureusement pas l’ombre des allées solitaires, et l’on peut encore s’y promener en rêvant.
Les Allemands firent assez bon parti de la nature ; pour l’art c’est différent. Ces statues dont je parlais tout à l’heure, il ne faut pas les regarder de trop près, d’abord parce qu’elles ne sont point belles ; ensuite parce que celles de coustou seraient des prudes à côté. On me dit qu’il y a peu d’années le roi avait semé dans son parc des copies ou des imitations de toutes les Vénus connues. Ces traductions étaient allemandes et tellement libres que le clergé s’en formalisa tout haut. Le roi en fit retirer bon nombre, il en reste assez. Quelques copies d’antiques sont attribuées à Thorwaldsen ; elles me semblent bien sèches et bien raides pour être de cette main.
Sur la place du Vieux-Château on a dressé une statue de Schiller. Celle-là est véritablement du Phidias scandinave. Je voudrais la trouver belle, il est si bon d’admirer mais je n’y parviens pas. Schiller avait l’attitude gauche assez naturelle aux rêveurs, l’œil bleu et grand, le regard errant et vague. Pourquoi le fixe-t-il sur la terre avec une expression concentrée et triste qui fait penser au Dante ? Pourquoi aussi ce grand manteau