de ne livrer à personne le trésor des Niebelungen, tant qu’un seul de mes chefs resterait en vie.
— Eh bien ! s’écrie la reine, voici venir les dernières vengeances. » Elle commande qu’on lui apporte la tête de son frère Gunther, et, la saisissant par les cheveux, elle la montra à Hagen, qui, sûr maintenant de pouvoir infliger à son ennemie une dernière douleur, lui répond : « Le voilà mort, le noble chef des Burgondes, le trésor n’est plus connu que de moi seul ; il te restera à jamais caché, sorcière infernale ! »
Elle, alors, tira du fourreau la forte épée que Hagen portait, sans que le héros enchaîné pût l’empêcher, et elle lui abattit la tête. Le vieil Hildebrand, furieux qu’un tel guerrier tombât sous la main d’une femme, frappa la reine à mort, et de cette multitude de héros, il ne resta qu’Attila et Théodoric, qui se prirent à pleurer amèrement sur tant de parents et d’amis morts.
Cette rude et sauvage poésie, qui se plaît aux récits de la force brutale et où le sang coule à flots, va bien avec l’histoire du fleuve, aux bords duquel elle fut chantée : le Danube n’a eu jusqu’à présent qu’un rôle militaire.
Comme le Rhin, il servit de frontière à l’empire de Rome, mais plus tard Jules César s’arrêta à l’antique barrière des Gaules ; ce n’est que Drusus et Tibère qui firent vraiment romaine la rive droite du Danube. Auguste rangea ses légions derrière les deux fleuves, y établit leurs castra stativa qui devinrent des villes et sont restées des cités puissantes.
Le Danube paraissant d’abord moins menacé que le Rhin, les camps y furent moins nombreux, la civilisation romaine moins active. Aussi les villes y sont et plus rares et plus petites. D’Ulm à l’est on ne trouve que cinq villes dépassant vingt mille âmes ; sur une égale étendue, on en compterait, le long du Rhin, une douzaine : preuve que la vie y a été bien plus intense, parce qu’elle y fut moins troublée.
Depuis les Northmans, le Rhin et l’Allemagne du nord n’ont pas vu d’invasion : il y a de cela dix siècles ; et l’islamisme heurtait encore aux portes de Vienne en 1683.
Comptez les villes qui baignent leurs pieds dans les eaux du Danube, tout le long de son cours, vous en trouverez cinquante environ, et, chose étrange, aucune n’est capitale : des huit souverains[1] qui possèdent son cours, pas un n’habite sur ses bords : Vienne en est à près d’une lieue : et s’il sépare les deux parties de Pest-Bude, cette ville n’est plus depuis trois siècles, ou n’est pas redevenue encore la capitale du royaume de Hongrie. Vingt-cinq forteresses, au contraire, tiennent ses deux rives sous leurs canons, et parmi elles quelques-unes des plus importantes de l’Europe, comme Ulm, Comorn, Peterwardein, Belgrade, Widdin et Silistrie, où l’armée russe s’est brisée il y a six ans.
Aussi, comme il convient à un fleuve que l’invasion remonte et descend sans cesse, sur tout son cours de trois mille kilomètres, on n’a jeté que vingt et un ponts : si la plupart simples ponts de bateaux, qui en une heure disparaissent. Un seul est digne du fleuve par sa hardiesse, sa grandeur imposante et son étendue, celui de Pest, sur lequel je compte bien passer.
Le Danube a sa tête fort exposée aux coups de la France et ses pieds dans les mains des Turcs. Pour Constantinople et Paris l’objectif de guerre est Vienne, ce qui explique d’un mot notre vieille alliance avec les sultans. Les uns y sont arrivés en remontant le fleuve, les autres en le descendant. Deux fois les Turcs l’ont assiégée ; les Français ont fait mieux : ils y sont entrés deux fois, et les Hongrois ont fait à peu près comme nous. Mathias Corvin prit Vienne en 1485 et Gœrgey, sans les Russes, l’aurait prise en 1849.
Après mon arrivée à Pest, je vous dirai si les Hongrois ont aussi complétement oublié Mathias Corvin qu’on le voudrait à Vienne. Quant aux Turcs, l’Autriche n’a plus rien à en craindre, à moins qu’ils n’aient un jour des successeurs redoutables ; mais contre nous elle a pris mille précautions : une d’elles est la ville où je suis.
Ulm est le complément de Rastatt, ou pour mieux dire Rastatt n’est qu’un ouvrage avancé de ce camp immense où en cas de guerre l’Allemagne du midi s’enfermerait. Le long du bas Rhin les défenses de l’Allemagne sont à la gauche du fleuve, sur la rive gauloise, à Landau, Germersheim, Mayence, Coblentz et Cologne. Obligée de partager le haut Rhin avec nous, elle a mis, de ce côté, ses défenses en arrière du fleuve : à Rastatt, pour nous empêcher de le descendre ; à Ulm, pour nous interdire l’accès du Danube, la grande route de Munich et de Vienne[2]. Une armée française débouchant de la Forêt-Noire trouverait donc ici une position formidable qui l’arrêterait de front, tandis que Rastatt la prendrait de flanc. Il est vrai que Rastatt pris ou masqué, on peut, comme Moreau en 1800, tourner Ulm par la droite, ou comme Napoléon en 1805, le tourner par la gauche. Mais cette dangereuse manœuvre n’est possible qu’à la condition que nous ayons, comme alors, de grands généraux a notre tête et la neutralité de la Prusse sur notre flanc.
Que tout cet amoncellement de terres, de pierres et de canons ait été fait contre nous, nous n’avons pas à nous en plaindre : Ulm est une forteresse défensive ; mais qu’il ait été fait avec notre argent et avec nos idées, voilà qui est dur. Les contributions de guerre levées sur la France en 1815 ont payé les travaux ici, comme à Rastatt, et le tracé des remparts a été emprunté au système polygonal du marquis de Montalembert.
À Ulm, vous le voyez, on garde ou l’on prend la clef du Danube : Napoléon l’y prit en 1805. En vraie ville
- ↑ Sept depuis que la Moldo-Valachie n’a qu’un chef.
- ↑ Les fortifications d’Ulm ont pour but immédiat de couvrir de feux le plateau de Michelsberg, qui domine la rive gauche, par où l’on arrive de Stuttgart, et les approches du pont qui débouche sur la rive droite, et que défendent, contre un assaillant arrivant de la Suisse ou de la Souabe méridionale, une vaste tête de pont, plus six forts casematés, avec glacis à contre-pente.