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en loin sur les collines. Ils y vivent grassement, mais leurs champs sont maigres. Il y a bien, au milieu des bois et des tourbières, quelques huttes habitées par des bûcherons et les ouvriers qui extraient la tourbe. En général, la population est très-clair-semée ; si le nord du Wurtemberg a trop d’habitants, le sud n’en a pas assez[1]. »

L’Alp de Souabe, de l’autre côté du Danube, est le domaine des moutons. Ils n’y boivent pas toujours, car l’eau des pluies filtre trop vite à travers ce calcaire léger ; mais ils trouvent toujours de l’herbe fraîche pour engraisser et viennent jusqu’à Poissy faire concurrence à nos Berrichons et à nos Champenois. Le maréchal Bugeaud, qui avait pris pour devise Ense et Aratro, voyait, il y a vingt ans, la ruine de notre agriculture dans l’abaissement de nos tarifs et s’écriait avec sa verve à demi gasconne : « J’aimerais mieux voir les Cosaques au bord de la Seine que du bétail allemand sur nos marchés ! » Les Cosaques, Dieu merci, ne sont pas revenus à Paris, quoique nous soyons allés chez eux, mais les moutons wurtembergeois y arrivent, ce qui n’a pas ruiné nos éleveurs, puisque les bouchers nous vendent les gigots plus cher.

La cathédrale d’Ulm (voy. p. 214).

J’ai parlé des deux autres régions du royaume, la vallée vineuse du Neckar et les forêts du Schwarzwald. Le Wurtemberg n’ayant ni fer ni houille n’est point industriel ; entouré en grande partie de montagnes, avec une seule route naturelle, celle de son fleuve, qui lui charrie ses bois jusqu’au Rhin pour la Hollande, il n’a point de commerce. Aussi la vie de ses habitants est-elle fort douce, sans luxe, mais aussi sans beaucoup de misère. Ils consomment le plus qu’ils peuvent de leurs produits, mangent ceux de leurs moutons qui ne payeraient pas les frais de route, boivent leur petit vin, et se chauffent de leur bois. L’étranger n’a que les restes : pas grand’chose, pour vingt-cinq millions de denrées, beaucoup moins que n’en exporte certain quartier de Paris.


XIV

EN BAVIÈRE ; AUGSBOURG.

Les Amazones aïeules des Augsbourgeois. — Traitement des fonctionnaires payés en truites. — Les bonnets bavarois et la confession d’Augsbourg. — La guerre à l’hôpital Saint-Jacques. — Le feu de la Saint-Jean et Perlach Michel. — La raison et l’architecture. — Le Falerne d’Horace. — Un club littéraire et l’éloquence des maillets. — Les premières pipes allemandes. — Deux voyageurs : l’un qui arrive à tout, l’autre qui n’arrive à rien.

Vous trouvez, mon cher ami, que je vais bien lentement. Que voulez-vous ? C’est la première fois de ma vie que je fais l’école buissonnière, et, comme un échappé de collége, je m’arrête à tout. Mais ne me grondez pas, j’irai vite d’Ulm à Munich ; car d’ici là j’aurai beau regarder, je ne verrai rien, si ce n’est peut-être à Augsbourg.

Je m’étais proposé en partant de Paris de ne plus quitter le Danube dès que je l’aurais touché, mais la pauvre figure que je le vis faire à Ulm et ce que j’y appris de son cours m’ont fait changer d’itinéraire. Jusqu’à

  1. M. Eug. Rister, Économie rurale de l’Allemagne, dans la Revue germanique, tome XVI, page 7.