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vaire est alors à ma gauche (B). Il se compose, chose étrange ! d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage. D’après la tradition, le rocher du Calvaire n’était pas en effet d’une très-grande hauteur, mais il devait avoir une largeur assez considérable. On l’a coupé, taillé et l’on n’en a conservé que le sommet.

Au rez-de-chaussée on me fait visiter deux petites salles : l’une la chapelle d’Adam, l’autre une petite sacristie qui se termine par un magasin. Des escaliers modernes (c, c’) de peu de degrés mènent à l’étage supérieur, divisé en deux chapelles, dont l’une appartient aux Grecs, l’autre aux Latins. Au fond est une élévation : c’est le sommet du Golgotha ; mais là encore on ne voit comme ailleurs que du marbre. Un autel couvre le lieu même ou s’élevait la croix ; seulement, à un mètre et demi, une partie de la roche à découvert laisse voir une déchirure longue de moins de deux mètres, signe du tremblement de terre décrit dans l’Évangile (f) : « Voilà que le voile du temple se déchira en deux depuis le haut jusqu’en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent. »

J’ai ensuite visité le reste de l’Église, mais rapidement. J’aurai plus de temps pour l’étudier pendant les cérémonies de la semaine sainte.


III

LES CÉRÉMONIES.

La veille du dimanche des rameaux.

Aujourd’hui, veille du dimanche des rameaux, les communions chrétiennes, divisées par phalanges, patriarches en tête, ont fait leur entrée solennelle dans l’église du Saint-Sépulcre.

On appelle cette première cérémonie la prise de possession des lieux saints.

D’après un ancien usage, qu’il est assez étrange de voir respecté par les schismatiques, c’est le très-petit cortége des Latins qui ouvre la marche.

On est parti du patriarcat. Le patriarche italien, le consul de France et son chancelier, le révérendissime supérieur des franciscains et les pèlerins, ont traversé les rues, précédés par trois gardes turcs ou cavas.

Entrés dans l’église, les pèlerins ont d’abord baisé la pierre de l’onction.

Le patriarche s’est ensuite dirigé vers le monument du saint sépulcre, a pénétré seul dans l’intérieur, et a prié.

Puis on l’a suivi à la chapelle de la Résurrection. Il a présenté successivement son anneau aux lèvres et au front de chaque pèlerin.

Ce n’est là qu’une préface modeste de la solennité. Une rumeur arrive jusqu’à nous. Les fusils des soldats turcs rangés en haie dans l’église retentissent sur le pavé. Nous nous hâtons de monter à une des galeries supérieures ; refuge nécessaire, et qui heureusement nous appartient. Voici la foule des Grecs !

Le patriarche grec est un petit vieillard d’une figure respectable. Il est richement vêtu : d’une main il bénit avec une croix étincelante de diamants ; de l’autre, il porte une croix dorée à double anneau. Les prêtres ou papas qui marchent devant lui ont pour coiffure des toques noires, pour vêtement des chapes rouges, dorées ou blanches : ils offrent à l’adoration des fidèles de magnifiques évangiles reliés en or ou en velours.

Les sons bruyants et confus des cloches à toute volée, les coups secs de marteaux sur des barres de bois, se mêlent aux chants du clergé grec qui ressemblent à des plaintes. Il y a aussi un grand tumulte de voix et de cris d’enfants. L’encens voile le saint sépulcre d’un nuage.

Mais voici des bannières où des images de saints se détachent sur l’or et la soie. Derrière marche un vieillard encapuchonné de noir et dont la chape est d’or ; c’est le patriarche arménien au milieu de quatre porte-torches et de diacres qui ont chacun à une main l’encensoir, à l’autre une petite cathédrale gothique en relief.

Ensuite viennent les cophtes ou chrétiens d’Égypte en robes blanches. Ils se sont bâti, avec quelques planches, un tout misérable petit autel contre la paroi extérieure du saint sépulcre, opposée à la porte d’entrée (p). Parmi eux, on me montre les chrétiens de Nubie, en manteaux blancs, les noirs chrétiens d’Abyssinie, en turbans ; ils ne se distinguent pas seulement par leurs costumes, mais encore par leurs chants d’une mélodie bizarre, qu’ils accompagnent des éclats stridents de leurs cymbales de cuivre.

Tout ce spectacle me paraît presque incroyable. Que me voilà loin de notre liturgie si calme, si mesurée, si digne ! Je ne sais où regarder. Sous mes yeux tout remue et se confond ; mes oreilles assourdies, brisées, ne perçoivent plus qu’un bourdonnement immense. Est-ce ici le Saint-Sépulcre ou la tour de Babel ?

Je descends et je m’échappe à grand’peine à travers la foule, trop heureux quand je parviens à respirer l’air libre des ruelles et des marchés.


Le dimanche des rameaux.

Les cérémonies du dimanche des rameaux, ou jour des palmes, étaient précédées autrefois d’une sorte de prologue scénique.

Les religieux latins se rendaient de grand matin au petit bourg de Bethphagé, où Jésus-Christ allait d’ordinaire passer la nuit avec ses disciples. Le révérendissime supérieur montait sur un âne couvert d’un riche tapis ; deux catholiques notables de Jérusalem tenaient les brides ; les religieux, le peuple, marchaient à la suite en chantant. Le chemin était jonché de fleurs et de verdure. La foule grossissait à la porte de Jérusalem, et le mot hosanna était poussé jusqu’aux nues par les Latins. On a supprimé cette procession.

Les Latins ont entendu la messe dès le lever du jour, afin de laisser de bonne heure la place libre aux Grecs. Sous la coupole, devant le saint sépulcre, on avait dressé un autel très-orné, splendidement éclairé, et à côté, pour