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c’est celle des gens à cheval. De San Blas à Tépic, la distance à vol d’oiseau est de sept à huit lieues, mais la contrée est montagneuse, et la route carrossable n’a pas moins de vingt à vingt-deux lieues. On nous fait prendre un moyen terme, plus rapproché toutefois de la voie carrossable que des sentiers alpestres pratiqués par la gent indienne.

Une chaussée, souvenir de la domination espagnole, traverse le marais ; elle est en fort mauvais état, et de loin en loin nous franchissons des flaques d’eau en sautant de pierre en pierre.

Après une marche assez pénible de quelques kilomètres, nous atteignîmes le pied des montagnes et le couvert de la forêt. Le port et les feuilles des arbres ramèneraient facilement l’esprit aux scènes familières de la patrie, n’était l’exubérance de la végétation, n’étaient les riches festons de lianes, l’aspect oriental des palmiers et de lataniers, réunis çà et là en bouquets sur quelques revers plus exposés au soleil ; et puis les cactus, plantes sobres et vivaces, qui puisent l’aliment d’une robuste existence au milieu des pierres et ne semblent vivre que de soleil ; et les fougères, et les acanthacées gigantesques, et les clairières fourrées d’une inextricable végétation herbageuse, où le pied de l’homme et celui du cheval ont patiemment souillé le sentier étroit que nous suivions ; capricieux zigzag qui joue dans les ondulations de la montagne, autour des rochers et des fourrés, comme les serpents que notre approche met en fuite.

Vue de la mission de San Luz (basse Californie), p. 243. — Dessin de E. de Bérard d’après M. de Mofras.

Dans le courant de l’après-midi, nous rencontrâmes une conducta de plata, ou convoi d’argent, sous l’escorte de quelques soldats. Les négociants, au Mexique, font leurs remises en métal, particulièrement en argent. Une douzaine de mules défilèrent devant nous, chargées des talegas bourrées de piastres.

Les officiers m’apprirent que nous étions encore fort loin du village où nous devions enfin trouver à déjeuner, ce qui nous laissait l’espoir de réunir ce repas au souper. À mesure que nous avançons, la forêt devient plus épaisse, la montagne plus accidentée ; nous nous élevons toujours. La scène est sauvage, le pays désert, les ravines desséchées malgré la saison, et les tourments de la soif nous font presque oublier ceux de la faim.

Il était six heures après midi environ quand, au détour d’un sentier creux, je vis tout à coup se dérouler devant moi un magnifique spectacle : au pied du revers abrupt de la hauteur s’étendait une vaste plaine verdoyante, circonscrit par des montagnes boisées. Çà et là s’élevait un village indien, dont les cabanes à toit de chaume disparaissaient à demi dans le feuillage des bananiers, des zapotes, des calebassiers, des goyaviers, de tous les arbres à fruits des tropiques. Au-dessus de moi le pueblo de Tisontla où j’arrivai bientôt.