est riante et assez bien cultivée. Malheureusement une partie de sa surface est dévorée par la lèpre du tequesquite, cette efflorescence saline si commune sur le haut plateau du Mexique. C’est un sel à base de soude dont on fait un grand emploi dans les mines pour la fonte des sulfates et muriates d’argent. Aussi est-il un objet de commerce, mais le profit qu’on en retire ne compense point le préjudice que sa présence cause à l’agriculture. Les Astèques ne connaissent pas d’autre sel.
Guadalajara est une belle ville, régulièrement percée ; les rues sont pavées, bordées de trottoirs dallés, munies de réverbères qui s’éclipsent soigneusement quand paraît la lune, et font en général plus d’effet le jour que la nuit. Presque toutes les places sont ornées de fontaines, et de nombreuses acequias sillonnent les rues, portant la fertilité dans les huertas embaumées que renferment les murs des couvents et d’un grand nombre de maisons particulières. Cesjardins, qui couvrent une partie de la superficie de la ville, lui donnent un périmètre exagéré, d’où résulte un air de tristesse et d’abandon ; c’est en vain qu’en parcourant les rues, je cherchais ces flots de population que j’avais vus surgir aux jours de fêtes ; tout cela est rentre sous terre sans doute, et les barrios eux-mêmes sont encore plus silencieux que la cité. Les Mexicains donnent quatre-vingt mille habitants à Guadalaraja ; je crois ce chiffre trop fort d’un quart environ.
Le climat de Guadalaraja est agréable et sain ; néanmoins les étrangers échappent rarement à une inflammation des paupières, causée probablement par la fine poussière du tequesquite qu’apportent certains vents. Au reste, on jouit d’un printemps perpétuel. Le jardin de la fabrique nous fournissait tous les jours au mois de janvier des bouquets de roses et de fleurs d’oranger. À cette époque de l’année, c’est-à-dire au cœur de l’hiver, la température était celle des plus belles journées d’automne en France ; à la chute du jour, on échangeait ses vêtements de toile contre du drap, et l’on fermait les fenêtres pour causer, jouer ou lire, mais on ne songeait pas seulement à la nécessité de faire du feu.
Les nuits étaient splendides, et j’en ai passé plus d’une à errer sous les orangers sans avoir le courage de regagner ma chambre, alors que la lune, radieuse dans un ciel pur, inondait le paysage de clartés puissantes, inconnues dans nos climats. Guadalajara est vraiment un séjour délicieux, malgré quelques inconvénients dont le principal, sans contredit, est l’abondance des puces. Ces folâtres insectes y sont à l’état de plaie d’Égypte, et bien que la maison fût tenue avec une propreté toute hollandaise, nous n’en étions pas moins dévorés. Les lits sont supportés par quatre pieds très-élevés à cause de cette engeance ; on a soin de se déshabiller à l’autre extrémité de la chambre ; on se brosse soigneusement les jambes, et quand on se trouve à peu près inhabité, on s’élance sur sa couche. Avec de la finesse on parvient ainsi à n’en avoir que trois ou quatre pour sa nuit. Les gens du peuple couchent à terre, sur des petates, et dorment très-bien ; je ne les ai jamais vus s’inquiéter beaucoup non plus des punaises, qui prospèrent très-bien sur tout le territoire de la République, partout du moins où la propreté n’est pas excessive.
Vers le milieu de janvier 1855, nous apprîmes qu’un décret de Santa Anna, en date du 29 novembre, nous amnistiait, et que les prisonniers de Perote étaient déjà à la Vera-Cruz, attendant un navire français qui devait les transporter hors du territoire mexicain. Le 20 janvier seulement je fus mande à la préfecture, où je reçus mon passe-port pour Mexico et une indemnité de route. Le 23, je pris congé, le cœur gros, d’une famille qui m’était devenue chère, et, montant à cheval, je m’éloignai de cette oasis où ma bonne étoile m’avait guidé comme pour me récompenser de tous les maux passés et à venir.
Le 27, après trois jours de marche à travers un pays accidenté, assez dénué d’ombre, j’arrivai sur le bord d’une falaise du haut de laquelle mes regards embrassèrent un splendide panorama. À mes pieds se trouvaient les pueblos del Rincon, noyés dans la verdure, entourés de champs fertiles qu’arrosaient de nombreux canaux sur lesquels se penchaient de beaux arbres. Au delà s’étendait le Bajio, la terre de Gessen du Mexique, riche vallée de trente et quelques lieues de long sur huit à dix de large, bornée par un horizon de montagnes au profil pittoresque, nues et fauves comme celles de Jalisco ; la transparence de l’air faisait merveilleusement valoir leurs cimes altières chaudement éclairées ; la franchise avec laquelle s’accusaient certains détails qu’aurait estompés sans rémission l’atmosphère brumeuse de nos climats, trompait mon œil, et je me fis tout d’abord une très fausse appréciation des distances. Je ne sortis de cette erreur qu’en ramenant mes regards vers leur base, pour y chercher des villes dont l’existence était un fait avéré pour moi. Je vis quelques points noirs : Lagos, Leon, Silao, villes de trois à quatre mille âmes, avec de