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Un grand nombre de volcans éteints, la configuration du sol, l’abondance des basaltes, de l’obsidienne et autres produits éruptifs, enfin les richesses métalliques répandues dans le sous-sol, attestent que cette région a été particulièrement tourmentée jadis par l’action du feu intérieur. On ne compte pas moins de dix anciens cratères dans le périmètre de la vallée de Mexico seulement. Le Popocatepelt, la montagne qui fume, et l’Istaccihuatl, la femme blanche, sont, il va sans dire, les plus beaux fleurons de cette redoutable couronne. Le premier mesure cinq mille quatre cent vingt-deux mètres : c’est, jusqu’à présent du moins, le roi de la Cordillère mexicaine. Le second n’a que cinq mille quatre-vingt et un mètres, et cède le pas à l’Orizaba (province de Vera-Cruz) auquel Humboldt donne cinq mille deux cent quatre-vingt quinze mètres. (V. t. IV, p. 161.)]

En sortant d’Arroyo Zarco, on suit un chemin pierreux et malaisé qui traverse une région accidentée, couverte de bouquets de chênes rabougris et clair-semés. Ce doit être un lieu de prédilection pour les voleurs, et comme on m’avait prédit à la fonda une mauvaise rencontre dans la sierra de Calpulalpan — c’est le nom de cette petite chaîne, — je me tiens sur mes gardes ; là aussi j’en fus pour mes frais de vigilance.

D’Arroyo Zarco à Mexico la route carrossable fait un crochet vers la vallée de Tula ; je pris le chemin plus direct des montagnes par Tepeje del rio. Une plaine assez sauvage succède à la sierra ; de loin en loin on y rencontre un triste village entouré de quelques terres travaillées : les habitants ont l’air peu avenant. Enfin, je m’engage dans les montagnes au delà desquelles se trouve la vallée de Mexico.

Ces montagnes sont nues et désertes, très-tourmentées, mais l’horizon est parfois grandiose, quand la route gravit quelque sommet ; les lignes ont de la majesté et le pittoresque est poussé jusqu’à l’audace. Je fis halte malgré moi sur un de ces points élevés pour savourer un peu mon admiration : cette région pétrifié au milieu d’efforts convulsifs, sur laquelle le soleil déjà penché vers l’horizon jetait une lumière oblique dont les splendeurs étaient relevées de grandes ombres, ces gorges où se formait l’obscurité et d’où s’exhalaient des vapeurs nacrées, ces sommets dorés, ce torrent qui lamait d’argent le flanc abrupt et sombre d’une coupe voisine, tout cela valait bien un acte muet d’adoration à la mère nature, si belle quand elle n’est pas fardée, si généreuse surtout pour qui ose aller l’admirer là où elle ne l’est pas.

Montagne des orgues. — Dessin de E. de Bérard d’après Niebel.

La route s’engouffre dans un entonnoir profond à mes pieds, sans que je puisse voir encore par quels capricieux méandres elle va me conduire en bas. Dans le lointain, au nord-est, une cime bizarre se dresse brusquement comme un fer de lance au-dessus des lignes bleues de l’horizon. Un brave muletier, dont le troupeau me précède et qui se vante d’avoir parcouru en tous sens le vaste territoire de la république, me fait reconnaître dans cette fine pointe le cerro de los Organos ou de Mamanchota, une des curiosités de ce pays si curieux. C’est une aiguille de rochers qui n’a pas moins de cent mètres d’élévation, à laquelle sert de base une montagne de deux mille sept cent soixante-dix mètres environ : elle domine le pueblo d’Actopan.

L’hacienda de la Cañada est située au fond de la gorge ; on suit pour y descendre une rampe en zigzag assez hardie, étayée çà et la par des muraillements. J’ai fait une douzaine de lieues depuis le matin ; mon intention était de pousser jusqu’à Tepeje, à cinq ou six lieues de là, mais l’heure avancée m’arrête à l’hacienda. C’est un immense bâtiment carré qui renferme un meson et une fonda.

Le lendemain, 5 février, je me dirigeai vers Tepeje en suivant la ravine, au milieu d’une végétation touffue que favorise une grande humidité ; quelques hameaux où tout dort encore, car il est jour à peine, se rencontrent sur ma route. Au milieu d’un fourré obscur où la voie se divise en dix sentiers qui s’entre-croisent, où le sol détrempé cède sans bruit sous le pied des chevaux, je me trouve tout à coup au milieu de cinq ou six cavaliers armés de lances, de sabres, de mousquetons, qui arrivaient à fond de train dans la direction opposée à celle que je suivais ; ils passèrent comme les ombres d’une ballade allemande, sans s’arrêter, sans mot dire, enve-