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étoile, autour desquelles des anges déroulent des légendes empruntées aux litanies, en langue espagnole. Les colonnes sont à demi grecques, mais d’un grec de fantaisie ; la porte est moresque, il y a des fenêtres moresques. Tout cela semble devoir être très-incohérent et ne l’est point. La disposition de l’ensemble fait de ce caprice architectural un caprice harmonieux. »

L’eau de cette source passe pour avoir des vertus miraculeuses qui en font la panacée universelle. En réalité, elle a les mêmes propriétés que celle de la source voisine du Peñon de los baños ; toutes deux contiennent avec du chlorure de sodium de l’acide carbonique et des sulfates de chaux et de soude.

La chapelle du Cerrito est lourde, carrée, sans caractère ni grâce ; mais le panorama que l’on embrasse du haut de sa plate-forme vaut bien l’ascension. Une partie de la vallée se développe aux yeux étonnés et ravis avec ses lacs, ses villes aux toits plats hérissées de clochers et de coupoles, ses villages noyés dans la verdure, ses chaussées ombragées, ses mornes volcaniques, sa ceinture de montagnes bleues que dominent les cimes du Popocatepetl, de l’Istaccihuatl et du Cerro de Ajusco. Alors on se sent pris de cet enivrement sous l’empire duquel les soldats de Cortez descendirent de la sierra d’Ahualco vers ce paradis terrestre. L’émotion, mais une émotion expansive et douce, dilate le cœur. Pas un voyageur n’a échappé à ces impressions, pas un peut-être n’a échappé à un désir momentané, fugitif comme l’éclair, de planter là sa tente et d’achever ses jours dans les jouissances ineffables que procure la contemplation d’une belle nature.

Deux voies conduisent au bas de la montagne : l’une est une rampe douce à l’occident, l’autre, à l’orient, un escalier assez roide entre deux murailles à crêtes festonnées. Deux chaussées relient également Guadalupe à Mexico ; elles sont parallèles et très-rapprochées. L’une est en pierre : c’est la plus ancienne et la plus étroite ; l’autre est un remblai bordé d’allées d’arbres. À droite et à gauche s’étendent des potreros, pâturages inondés en partie pendant la saison pluvieuse.

Cette route que je suis est assez animée ; il est dix heures, et les fournisseurs des marchés de la capitale s’en retournent aux champs. Un troupeau de mules chargées, une voiture un peu plus moderne et confortable que toutes celles que j’ai rencontrées jusqu’à présent, un moine à cheval, un lancier dépêché quelque part en estafette, se croisent avec moi successivement. Le pauvre défenseur de la patrie est mal monté, mal équipé, tandis que derrière lui s’avancent, entourés des nuages de poussière que soulève le galop de leurs nobles montures, quelques jeunes rancheros étalant tout le faste du costume national ; vestes et calzoneras de peau de daim ou de velours, ornées à profusion de broderies, galons, bouffettes et pendeloques en argent ; le chapeau à grandes ailes, avec toquilla d’or ou d’argent, soutenue par des cordonnets qui viennent se fixer à de lourds ornements de même métal placés près de la couronne, sur les côtés. La calzonera ouverte laisse voir des calzones blancs, brodés ainsi que la chemise. La bota vaquera ou campanera protége la jambe ; c’est une pièce de cuir richement estampée comme certaines parties de la selle, et que retient au-dessus du mollet un élégant cordon. Le manche du couteau caché dans la botte se présente à la hauteur du genou.

La têtière et les rênes de la bride sont de simples cordons de passementerie ornés de houpes et, sur les joues du cheval, de larges plaques d’argent ouvré.

J’arrive tout émerveillé de ce spectacle varié à la porte ou garita de Peralbillo : je suis à Mexico.


Le lepero mexicain. — Cathédrale et Sagrario. — Plaza de Armas. — Palacio. — Los Evangelistas.

De la garita de Peralbillo, une rue, qui change fréquemment de nom, conduit directement à la place d’Armes, autrement place de la Constitution ; elle traverse les barrios de Santiago Tlatelolco et de Santa-Anna. Ces faubourgs ont triste mine, comme ceux de Guadalajara ; la population n’en est pas plus attrayante. Je rencontre quelques types qui me rappellent ceux de la capitale de Jalisco, seulement les physionomies ont ici, en général, quelque chose de plus famélique et de plus accentué ; la corruption y a laissé plus de traces. Le lepero de Mexico a sur ses congénères de la république la même supériorité que celle du lazzarone de Naples, auquel il ressemble tant, sur ses pareils des autres villes d’Italie. Il est plus malin, plus subtil, plus audacieux, plus effronté, plus narquois, plus spirituel, son intelligence et son imagination ont un rayon plus vaste, et les tangentes à sa circonférence sont en nombre immense : il est plus complet, en un mot. Il a au service de son humeur gouailleuse un répertoire aussi riche et aussi dessalé que celui du gamin de Paris lui-même. Au bout de vingt-quatre heures de séjour à Mexico, mon fidèle Miguel me parut à côté des bandits que je rencontrais un bien sot animal ; lui-même, qui visitait pour la première fois sa capitale, demeura abasourdi pendant deux ou trois jours, non point du luxe qu’elle lui révélait, mais des études de mœurs populaires qu’il y fit.

La rue que je suivais me conduisit à la plazuela de Santo-Domingo, ornée d’une petite fontaine d’assez mauvais goût, surmontée d’un aigle de convention, et que l’on n’a pas réussi à mettre au centre de la place. Ce recoin de la capitale a le mérite d’être avoisiné par l’ancien palais de l’inquisition, le couvent des dominicains et la douane. Le premier de ces monuments est aujourd’hui une école de médecine. Le couvent de Santo-Domingo est un des plus beaux de la capitale ; la façade de l’église, sobre et sévère, est cachée en partie par une muraille festonnée qui ferme le parvis. La douane est un vaste édifice fort laid et fort mal entretenu, mais à la porte duquel il y beaucoup de mouvement ; des recuas de muletiers, des charrettes pesamment chargées, tirées par quatre, six et huit mules, en sortent ou y entrent à chaque instant. En face de la douane, il y a des portales bas, sombres, vieux et sales, occupés par quelques evangelistas ou écrivains publics. La naïveté castillane a