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blanca, entre Perote et las Vigas, jusqu’au pied du versant. Cet ouvrage fut exécuté au commencement de ce siècle aux frais du commerce de Vera-Cruz ; mais en 1815, les insurgés le détruisirent partiellement pour embarrasser les mouvements des troupes espagnoles, et depuis le mal n’a jamais été réparé ; de telle sorte que les meilleurs morceaux de la route aujourd’hui sont, sans contredit, ceux où il n’existe pas vestige de pavage. Partout ailleurs, c’est un véritable casse-cou.

À quelque distance de San Miguel el Soldado, l’escorte se débarrassa de nous. Un vieux chapeau de feutre noir galonné d’une bande de calicot blanc s’introduisit dans la voiture, une tête de Bachi-bozouk se présenta à la portière, une voix recommanda à notre générosité les anges gardiens des diligences nationales de la république. Quelques réaux tombèrent dans le chapeau : c’est là, pour ces pauvres diables, un revenu beaucoup plus clair que la paye du gouvernement.

Jalapa n’est qu’à douze lieues de Perote ; nous y entrâmes à neuf heures du matin, pour n’en sortir de nouveau que vers la fin du jour. Par considération pour l’existence des voyageurs, la diligence ne marche que la nuit dans la Terre-Chaude.

Indienne de la Terre-Chaude. — Dessin de Stella d’après Nebel.

Jalapa a conservé son nom indien en devenant espagnole ; elle l’a donné en outre au beau liseron célèbre par ses vertus médicinales et originaire de ce district. Entourée de collines et d’une assiette irrégulière, au sein d’une région fertile et d’une zone de transition, à une hauteur (treize cent vingt et un mètres) qui la met à l’abri des miasmes délétères de la Tierra-Caliente et de la sécheresse atmosphérique du haut plateau central, cette ville a un caractère particulier. Les nuages qui se forment sur le golfe ne s’élèvent guère au-dessus de son niveau ; ils y viennent faire élection de domicile et lui procurent transitoirement, avec une atmosphère brumeuse, une humidité qui tempère les ardeurs du soleil et favorisent richement la végétation. Les riches habitants des basses terres s’y réfugient pendant la saison sèche ; les convalescents de la Terre-Froide viennent y chercher une température plus généreuse. L’oranger, le bananier, le palmier ombragent ses heurtas ; le poivrier, l’olivier se mêlent au liquidambar et au chêne dans les bois voisins. La canne, le tabac, la cannelle, le jalap, la salsepareille y croissent à côté des légumineuses de l’Europe et du blé qui ne monte pas en épi, il est vrai, mais qu’on cultive pour son chaume et son fourrage.

Ainsi encadrée, Jalapa présente du sommet des hauteurs voisines le plus charmant cou d’œil. À l’intérieur, la physionomie n’est pas moins typique. Cette petite ville, qui compte plus de huit à dix mille âmes en temps ordinaire est une des plus jolies et surtout une des plus propres de la République. Les rues cependant ont peu de développement et sont étroites et parfois irrégulières ; les maisons ont peu d’élévation, mais elles sont soigneusement peintes à l’intérieur comme à l’extérieur de couleurs fraîches et vives relevées d’encadrements blancs. Les fenêtres du rez-de-chaussée sont gigantesques et descendent presque au niveau du trottoir, comme pour laisser passer à travers leurs grillages de fer, le plus d’air possible, tandis que des stores intérieurs amortissent les rayons du soleil en adoucissant sa lumière. Il y a dans tout cela une saveur andalouse très-accentuée. Derrière le store, on voit briller dans l’ombre de pâles mais piquants mi nois. Les Jatapeñas ont une réputation de beauté et de grâce surtout, universellement reconnue au Mexique et qui ne m’a pas paru usurpée. Leur teint est mat, mais d’une grande blancheur, et cette absence d’éclat et de transparence dans la carnation a là-bas un charme inexprimable, de même que la crudité des tons dans la décoration des bâtiments emprunte à la chaude et généreuse lumière des tropiques une harmonie réjouissante