Page:Le Tour du monde - 05.djvu/300

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noir vomito, les fièvres bilieuses planent au-dessus des lagunes et des marécages que de nombreux ruisseaux et petites rivières, ou même l’eau des pluies, forment dans des terrains trop bas pour se drainer naturellement. Bien qu’il ne pleuve que pendant quelques mois de l’année, la quantité d’eau qui tombe à cette époque est effrayante ; Humboldt l’estime à un mètre soixante-deux centimètres, tandis que, en France, elle est à peine de quatre-vingts centimètres. D’immenses forêts vierges contribuent à entretenir cette humidité et donnent en outre un détritus énorme qui pourrit dans les marécages.

À quatre heures de l’après-midi, nous fumes invités à monter en diligence ; nous nous y trouvâmes au complet cette fois, ce qui ne constituait pas précisément un agrément sous un climat comme celui que nous allions affronter. Le premier relais en sortant de Jalapa se trouve à la venta del Lencero, établissement fondé peu de temps après la conquête par un aventurier espagnol connu sous ce sobriquet ; Bernal Diaz nous apprend qu’il était bon soldat, et qu’il termina ses jours sous le froc de l’ordre de la Merci.

Non loin de la venta, on montre une maison de campagne qui appartient à Santa Anna. Cet homme d’État est devenu le marquis de Carabas de la province où il est né ; de Jalapa à la Vera-Cruz, il est presque superflu de demander le nom du propriétaire des ranchos et haciendas que l’on traverse : c’est Don Antonio, le diable boiteux.

Grande place de Vera-Cruz. — Dessin de Rouargue d’après Nebel.

La contrée est découverte et assez monotone : à l’horizon de l’ouest, le blanc piton de l’Orizaba resplendit sous les feux du soleil. Ce roi de la Cordillère a cinq mille deux cent quatre-vingt-quinze mètres d’élévation ; à ses pieds, sur le versant qui regarde le golfe, se trouvent les villes d’Orizaba et de Cordowa, célèbres par leurs cultures de tabac.

Il était nuit quand nous passâmes à Plan del Rio. De là au Puente nacional, la route descend continuellement, et Dieu sait dans quel état elle est ; mes souvenirs de voyage ne me représentent rien d’aussi fantastique que le traitement auquel nous fûmes soumis là pendant quelques heures ; je ne sais quelle maladie il pourrait donner ou pourrait guérir à la longue, mais je sens qu’il devrait provoquer quelque grave révolution dans l’économie animale. Les exercices du malheureux Ragotin sur son cheval rétif ne donneraient qu’une intelligence bien imparfaite de la chose, et la meilleure image que je trouve pour peindre notre position, est de nous comparer aux grains de plomb dans une bouteille que l’on rince. La voiture allait prudemment au pas, et néanmoins, elle avait un mouvement oscillatoire constant, mais irrégulier, de haut en bas, à donner le mal de mer, le vertige, que sais-je ? De temps en temps, souvent même, un écueil