chaux, blanc, citron, recouvert en mille endroits de soufre pur et de salpêtre ; en d’autres endroits tendant à la vitrification, en quelques-uns ferrugineux, presque partout fendu de longues crevasses, d’où sort une grande quantité de fumée mal odoriférante. » Quelques-uns sont même descendus, au moyen de cordes qui les empêchaient d’y rouler, jusqu’au fond du gouffre, entre autres notre poëte Chateaubriand, l’emphatique voyageur. Il y a vu des blocs de granit recourbés en feuilles d’acanthe, des rosaces, des girandoles et un cygne de lave blanche parfaitement modelé. Il en a conclu que les temps varient et que les destinées humaines ont la même inconstance. La vie, dit la chanson grecque, fuit comme la roue d’un char…
Pour ma part, quand il n’y a pas d’éruption, je tourne le dos au cratère et je plonge mes yeux dans la plaine. C’est la vue qu’on a de l’ermitage, mais étendue, développée à l’infini. Je ne décris pas, j’ai trop à décrire encore, et je réserve mes esquisses de Naples pour d’autres excursions ; je dis seulement qu’on découvre de là-haut trois golfes, trois îles, je ne sais combien de promontoires sur lesquels on plane, en voyant la mer au delà, jusqu’à l’extrême horizon où elle touche le ciel, une plaine immense, une grande ville et cinq petites, pour le moins, sans compter les villages, puis des montagnes à n’en plus finir, pelées ou boisées, vertes ou grises, blanches même en janvier, toutes les merveilles du monde : c’est le paradis vu de l’enfer, a dit un poëte, au temps où ces deux mots étaient jeunes, parce qu’on y croyait.
Mais quand il y a éruption, l’on oublie ce calme et radieux spectacle. On regarde alors le cratère qui vomit des flammes, des cendres, des quartiers de roche et une sorte de neige rouge et brûlante qui, retombant en flocons de feu sur les pentes du cône, s’amoncelle, s’écroule en avalanches formidables et couvre alors des terres, engloutit des maisons, ensevelit des villes, sans qu’aucune force humaine puisse l’arrêter jamais.
Le spectacle est dangereux quand on le contemple du grand cratère. Mais il est rare depuis douze ans que les éruptions jaillissent de là. Depuis 1850 il s’est formé des sources au pied du cône, dans le ravin qui sépare les deux montagnes, et l’on en voit sourdre la lave à peu près comme l’eau des fleuves sort des glaciers. On peut alors s’approcher sans péril de la rivière enflammée. En 1855 et en 1858, elle roulait lentement dans le ravin, comme une Tamise qui aurait pris feu. Les accidents du terrain la changeaient çà et là en cascade rouge, tombant comme du métal en fusion, rejaillissant en écume, en poussière ardente ; ailleurs la surface de la rivière était parfaitement plate, on eût dit un lit de braises sur lesquelles auraient couru des charbons allumés. On voyait tout cela sans danger du bord du ravin ; l’assistance était nombreuse et point effrayée ; on venait là comme au feu d’artifice et les étrangers qui avaient un peu de lecture appelaient cela une belle horreur.
Mais le spectacle était fort ordinaire. Pour avoir vraiment peur, il ne faut pas dominer la lave. Il faut la voir venir à soi, comme je l’ai vue venir en 1855, au pied du Vésuve, entre Massa et San Sebastiano. Alors ce n’est plus une Seine quelconque, charriant du charbon de terre au lieu d’eau, c’est un rempart incendié qui marche. Ce mur avait au moins un mille de large et vingt pieds de haut. Il venait lentement, fatalement, obstruant les terrains, brûlant les arbres, enlaçant d’abord les maisons qu’il trouvait sur son passage, pour les envelopper ensuite et les couvrir. On pouvait marcher à reculons devant lui, comme un capitaine devant sa compagnie, et je voyais quelque chose comme des vagues de pierres, roulant jusqu’à trois pieds du haut de cette muraille qui marchait toujours, avec une irrésistible puissance et une implacable obstination. À chaque éboulement, les progrès de la lave paraissaient s’arrêter, mais venait ensuite une autre vague amoncelant à mes pieds d’autres pierres, puis d’autres encore, et, croulant toujours devant elle, cette lave comblait les ravins, envahissait la plaine et menaçait tous les villages qui sont au pied du volcan. C’était vraiment sinistre. Les curieux n’affluaient pas de ce côté-là de la montagne ; mais les villageois effrayés, les laboureurs désolés poussaient des cris déchirants ; quelques-uns se jetaient devant la lave, à plat ventre, comme pour s’en laisser couvrir, mais par sa chaleur insupportable, avant de les atteindre, le feu les relevait, les rejetait plus loin et consommait leur ruine en leur refusant la mort.
Mais un peu plus haut, dans la même éruption, j’ai vu quelque chose de plus beau que cette inondation incendiaire. J’en ai déjà parlé ailleurs, mais je suis forcé de me répéter pour être aussi complet que possible. Si donc quelque lecteur retrouve, par hasard, cette description égarée dans ses souvenirs, il ne m’en voudra pas. Nous sommes au-dessus de San Sebastiano sur la pente occidentale du Vésuve. Un guide nous offre de nous conduire un ou deux milles plus loin, cent pieds plus haut ; nous avons vu le fleuve et le torrent, il nous promet une cataracte. Nous allumons deux torches et nous partons. Nous escaladons d’abord, deux jeunes femmes et moi, un sentier presque perpendiculaire dans les broussailles. Il faut se retenir aux tiges pour avancer et les écarter pour se frayer un passage. Au haut du sentier s’ouvre une ravine ; sans la torche, secouée à temps, nous y tombions tous. Nous courons à travers champs, sans pitié pour les haricots du pays. Nous longeons le fleuve de lave dans un chemin étroit pour un, comme dit Nadaud, mais non large pour deux, au bord du gouffre. Un faux pas nous eût fait rouler dans le feu. Nous traversons des défilés, des chemins creusés, bosselés, tordus, rocailleux, par une nuit noire, pendant une heure. Nous sommes trois, à la merci de deux éclaireurs qui nous ont déjà rançonnés et qui sont précédés de plusieurs coquins hideusement pittoresques. Eh bien ! nos deux jeunes femmes marchent bravement, sans hésitation, avec une ardeur presque fiévreuse. Elles ne sont point Anglaises cependant, elles n’iraient point à pied dans les rues de Naples, elles craignent les araignées et la jettature, elles regardent sous leur lit avant de se coucher. Mais l’ivresse du feu les emporte.
Enfin nous arrivons au bord d’un fossé. Je demande au