Page:Le Tour du monde - 05.djvu/329

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vacant devant la tente de l’aga et où les guerriers étaient réunis.

Un Turkoman armé en guerre sortit des rangs, s’avança près de nous et exécuta d’abord quelques pas en cadence, tandis qu’un tambourin battait la mesure en s’accompagnant d’une flûte sur laquelle il modulait quelques sons monotones. Peu après, la musique précipite ses accords, le guerrier s’anime ; il semble apercevoir un ennemi invisible, le provoque du geste et de la voix, fond sur lui en brandissant son cimeterre, recule de quelques pas, l’attaque encore, et pousse encore un cri de victoire. Un second danseur survient et salue avec son sabre le premier guerrier ; à celui-ci succède un troisième, et alors commence une danse terrible. Ces trois hommes très-rapprochés l’un de l’autre et faisant siffler continuellement l’air avec leur damas, semblent vouloir s’entretuer. Le moindre faux pas pourrait causer leur mort, et cependant ils s’animent davantage au son de la flûte et du tambour ; les lames de leurs sabres étincellent ; les cris d’encouragement redoublent leur animation ; bientôt ils rugissent et bondissent comme des tigres, puis s’arrêtent tout à coup et viennent comme des vaincus, s’agenouiller devant leur aga, en posant, en signe de soumission, leurs lames de damas sur leur tête courbée jusqu’à terre. L’aga les félicite, les invite à se relever, et tandis qu’ils regagnent leurs places, d’autres danseurs leur succèdent et cherchent, comme les premiers, à provoquer les applaudissements des spectateurs, ivres d’enthousiasme et de bonheur.

Les habitants du Taurus : Un chef turkoman, un évêque arménien ; habitants chrétiens de la Cilicie.

Le lendemain matin nous fîmes nos adieux au chef des Farsak-oglou et nous reprîmes le chemin de Missis, qui n’était éloigné que d’une heure du campement. Missis est une pauvre bourgade dont les maisons sont en partie désertes et ruinées. Les mosquées, abandonnées depuis longues années, se sont écroulées, et les minarets sont totalement renversés. Le Pyrame coule à l’est de Missis ; on le passe sur un pont de construction romaine, en face duquel s’élevait jadis un château byzantin qui est détruit aujourd’hui, et dont il ne reste que quelques pans de murailles. Tout près du château se trouve une nécropole riche en inscriptions tumulaires des époques grecque et romaine, qui m’a fourni des textes importants que j’ai publiés dans mon volume d’exploration[1].

À peu de distance de Missis, au nord, on voit deux châteaux bâtis sur le sommet de deux monticules qui sont séparés l’un de l’autre par la vallée de Pyrame. L’un de ces châteaux, appelé aujourd’hui le Tumlo-Kalessi, est célèbre dans l’histoire de la Cilicie, à l’époque

  1. Voyage dans la Cilicie et dans les montagnes du Taurus, Paris, 1861, Benj. Duprat, in-8o.)