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Page:Le Tour du monde - 05.djvu/343

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plus loin de sainte Élisabeth, agitant un mouchoir trempé de larmes ; le lendemain, une Cène copiée de Léonard de Vinci, un Crucifiement d’après Rubens, ou la Sainte Trinité avec tous ses attributs ; chaque sujet était revêtu de costumes précieux, et la Vierge étalait des parures de perles et de diamants d’un grand prix. Une musique des plus primitives précédait chaque procession, et dans les églises des orgues de Barbarie déployaient, en l’absence de tout autre orchestre, le luxe de leur répertoire. Je me rappelle avoir entendu le vendredi saint, dans une chapelle faisant face à la cathédrale, l’un de ces instruments vraiment barbares entonner la monaco pour déplorer la mort du Sauveur. Le soir, la ville, de nouveau sillonnée par les processions, offrait à l’œil une illumination des plus splendides. Chaque maison, tendue de tapis aux riches couleurs et de rideaux de mousseline brodée, jetait la lumière de milliers de cierges sur le passage des saintes reliques, et la foule immense, dont chaque individu portait un cierge, la masse bigarrée, les señoras aux riches costumes et les vêtements gracieux des métis formaient un tableau extraordinaire et présentaient un aspect des plus féeriques.

Les fêtes terminées, il me fallut penser à mes expéditions ; j’étais arrivé muni de lettres du président Juarez, gros Indien, honnête homme au dire de tous, mais de peu d’énergie autant que j’en pus juger durant les trois années de sa présidence. Il avait mis à me recommander au gouverneur du Yucatan une bienveillance empressée : je lui adresse de loin mes remerciements bien sincères. J’ai pareillement des actions de grâces à rendre à don Manuel Donde, qui me donna des lettres pour le juge de Citaz, et des recommandations à Tikul, à l’homme d’affaires de don Felipe et de don Simon, péon, propriétaire d’Uxmal, qui plus tard mit généreusement à ma disposition toute une escouade de ses Indiens. Partout enfin je n’ai trouvé que bon accueil, des mains tendues pour serrer les miennes et des sourires de bienvenue.


Première expédition à Izamal. — Les pyramides. — L’antique voie indienne.

Le lundi de Pâques, je traitai avec un entrepreneur de voitures qui devait me fournir une caleza de voyage à trois mules. Il fut convenu que nous partirions le mardi matin de deux heures et demie à trois heures ; autant que possible on a soin de voyager la nuit pour éviter aux mules les terribles chaleurs du jour. Je dormais profondément quand le domestique vint frapper à ma porte ; il s’empara aussitôt de mon bagage, qui fut attaché à l’arrière-train, ainsi que la chambre noire et les produits chimiques ; j’avais près de moi, et le plus souvent sur mes genoux, les deux boîtes à glaces, afin que les violents cahots de la route ne les brisassent point. Je me rendais à Izamal, ce qui n’est qu’une simple excursion de seize lieues, avec route carrossable ; je n’avais point à m’éloigner des lieux habités.

Partis le matin, nous arrivâmes le soir vers les trois heures, et je m’empressai de rendre ma visite au gouverneur, don Agustin Acereto, auquel je remis la lettre de Juarez. Don Agustin mit immédiatement à ma disposition ce qui m’était nécessaire, me promettant une escorte, pour ma prochaine expédition à Chichen-Itza.

Izamal, à en juger par l’importance de ses ruines, dut être autrefois un grand centre de population[1]. Les alentours sont parsemés de pyramides artificielles, et deux, entre autres, sont les plus considérables de la péninsule. Placées face à face, au centre de la petite ville moderne, et à un kilomètre l’une de l’autre, elles étaient composées d’une première pyramide de deux cent cinquante mètres de côté sur quinze de hauteur, servant de base à une seconde beaucoup plus petite et adossée au côté nord de la première. Sur cette seconde pyramide se trouvait le temple d’où le prêtre ou le chef pouvait facilement haranguer la multitude assemblée à ses pieds sur les vastes plateaux de la première pyramide. Les Espagnols détruisirent le cône tronqué de l’une et construisirent sur le plateau un immense cloître ainsi que l’église paroissiale d’Izamal. La base d’une autre élévation artificielle, enclavée dans les cours d’un maison particulière, contenait encore des restes de figures gigantesques, dont l’une fut donnée par Stephens et Catherwood dans leur album lithographique ; et c’est ici le cas de rappeler « de quelle manière on écrit l’histoire. » Ces messieurs placent les figures ci-dessus dans un désert ; au pied de la pyramide se trouve un tigre en fureur, tandis que des Indiens sauvages l’ajustent avec leurs flèches. À force de vouloir faire de la couleur locale, on fausse l’histoire et on déroute la science. Ces figures se trouvent au milieu même de la petite ville d’Izamal. Combien d’erreurs on relève chaque jour en voyage dans les relations des littérateurs (voire les plus illustres, à commencer par Chateaubriand) ! Que d’idées fausses répandues dans le peuple par les enthousiastes qui s’extasient devant un brin d’herbe éclairé par un autre soleil et quelque peu différent de ceux que nous foulons aux pieds ; que de déclamations sur les forêts vierges, le soleil africain, le ciel mexicain, sur la majesté de telle nature rabougrie, et quelle rage éprouve-t-on de tout vouloir changer ! Je ne suis point poëte, on a dû le voir, mais j’ai la prétention de dire la vérité.

On me fit remarquer une figure du même style, mais plus gigantesque, nouvellement découverte. Ce fut en enlevant les pierres éboulées depuis des siècles et qui encombraient le pied de la pyramide, qu’on aperçut tout à coup une tête de douze pieds de hauteur, entourée d’ornements bizarres d’un genre cyclopéen. Ce sont de vastes entailles, espèces de modelages en ciment, dont il est difficile de donner une idée ; la tête elle-même est modelée de la même manière ; deux énormes cailloux forment la prunelle des yeux : au moyen du ciment, on modelait la paupière, on obtenait les ailes du nez et les lèvres par le même procédé, et nous retrouvâmes plus

  1. Selon un moderne historien, les ruines d’Izamal appartiendraient à la même période que celles de Mazapan et de Palenqué ; c’est dire qu’elles remonteraient à la plus haute antiquité. La tradition en fait le lieu de sépulture du prophète Zamná.