leurs styles divers à celui des maisons particulières, toujours d’une grande élégance. Des squares plantés d’arbres et de gazons réjouissent le promeneur, et au milieu de tant de splendeurs réunies il oublie que sur l’emplacement de cette ville, aujourd’hui si peuplée, il n’y avait encore, en 1848, qu’un maigre fortin élevé par le pionnier Sutter sur les rives du Sacramento pour tenir en respect les Indiens. Il oublie, que l’incendie et les inondations ont par trois fois détruit de fond en comble cette vaste cité ; et qu’au lieu des habitants paisibles, mais toujours affairés, qu’il rencontre à chaque pas, Sacramento ne présentait en 1849 qu’un ramassis de brigands et d’aventuriers, venus de tous les coins du monde à la curée de l’or.
La population de Sacramento s’élève aujourd’hui à plus de 30 000 habitants. La ville fait un immense commerce, et ses développements sont le fruit de sa position même. Les environs sont parsemés de jardins et de vastes fermes où l’on récolte toutes les productions que la terre peut fournir sous les climats tempérés, et qu’elle fournit avec usure dans ce pays privilégié. Les verdoyantes prairies que l’on rencontre dans tout le comté de Sacramento permettent aussi d’élever beaucoup de bétail.
L’exposition agricole de l’État était ouverte à Sacramento depuis le 1er septembre, quand je visitai cette heureuse capitale. J’eus l’occasion de jeter un coup d’œil sur ces fruits aux dimensions phénoménales que la nature se plaît à produire en Californie, et qui se trouvaient là rassemblés. En même temps je pus contempler des échantillons de ces récoltes miraculeuses en céréales qui font aujourd’hui de la Californie le grenier de tout le Pacifique. Parmi les fruits je remarquai des pommes mesurant jusqu’à cinquante centimètres, soit un pied et demi de tour. Des grappes de raisins dont les grains étaient presque aussi gros que des noix, attirèrent aussi mon attention et me donnaient envie d’y goûter. Parmi les légumes, il y avait des carottes longues d’un mètre et d’une épaisseur proportionnelle. Des potirons pesant jusqu’à cent kilogrammes représentaient avec honneur la famille des cucurbitacées.
Quant au blé, l’orge et l’avoine, les échantillons en montre indiquaient une échelle de reproduction phénoménale. Un grain ensemencé en avait reproduit cent et plus. Puis venaient des échantillons de lin, de chanvre, de riz, de tabac, de sorgho ou canne à sucre de Chine ; et à côté les oranges, les citrons, les figues, les olives de Los Angeles, ainsi que les fruits tropicaux, ananas, bananes ou autres semblables, que produit une portion de ce comté, le plus méridional de la Californie. On eût dit que toutes les productions des deux hémisphères, plantes industrielles, fruits des pays froids et tempérés, fruits des tropiques, s’étaient donné là rendez-vous.
Tout y proclamait comme à l’envi l’inépuisable fécondité de la terre californienne, comme si cette terre n’avait pas déjà assez fait en produisant l’or en abondance.
Le 27 septembre au matin, je pris place sur le chemin de fer qui, côtoyant la rivière américaine, mène de Sacramento à Folsom. Je retrouvai les wagons si commodes des États-Unis. Qu’on se figure une immense voiture où cinquante voyageurs peuvent tenir à leur aise. Les siéges sont rangés transversalement sur deux files, et au milieu du véhicule règne, sur toute la longueur, un espace vide où l’on peut circuler librement. Chaque siége, en osier et à claire-voie, occupe deux places, et l’on peut aller à volonté en avant ou en arrière en faisant basculer le dossier. Un conducteur parcourt sans cesse le wagon, dont il a la police. Un autre vend des livres, des journaux, des fruits, des pâtisseries. Dans un des coins de la voiture est un bidon rempli d’eau, où les voyageurs peuvent se désaltérer à leur aise ; dans un autre coin est un poële qu’on allume en hiver ; enfin dans un dernier recoin, faut-il le dire ? est le water closet de rigueur, dont nos chemins de fer européens devraient bien adopter l’emploi. On peut librement passer, à ses risques et périls, il est vrai, d’une voiture dans une autre. Il est aussi permis aux imprudents amateurs du paysage de se tenir en dehors du wagon, sur les marchepieds qui relient deux voitures l’une à l’autre.
Par le moyen d’une corde, disposée sur toute la longueur du train, le conducteur se met, s’il y a lieu, en rapport immédiat avec le mécanicien en avant. Une seule sorte de place existe pour tous les voyageurs, hormis les nègres et les Chinois, que l’on empile dans un petit wagon à part, sur des bancs de bois. Là ces gens de couleur, coloured people, comme les nomment les Américains avec mépris, jouissent de la seule liberté qu’on leur concède, celle d’attendre avec patience que le voyage soit au plus tôt achevé.
La rivière américaine, dont nous suivions la rive gauche, est connue en Californie par ses placers autrefois si riches. C’est là que les Américains ont fait leurs premiers essais dans le lavage de l’or. Aujourd’hui les Yankees ont déserté les claims qui ne produisent plus assez pour satisfaire à leur amour immodéré du gain, mais en 1849 la rivière américaine était partout citée pour sa production fabuleuse et l’énergie de ses travailleurs.
C’est à Coloma, sur l’un des bras de cette rivière, que le capitaine des gardes suisses de Charles X, l’Helvétien Sutter, devenu en 1830 colon aux États-Unis, et plus tard, en 1839, pionnier californien, avait établi une scierie de bois. Sutter exploitait aussi une ferme à l’endroit où existe aujourd’hui Sacramento, et il y avait bâti, pour protéger son commerce, le fortin dont j’ai parlé.
Les choses marchaient ainsi depuis 1839, lorsqu’au commencement de 1848, — année qui eut une aurore si brillante dans le vieux monde comme dans le nouveau, les Américains conquirent presque sans coup férir la Californie, que les débiles Mexicains leur abandonnèrent avec d’autres provinces.
Vers cette même époque, les Mormons, chassés des États-Unis comme des ennemis du bien public, achevaient leur exode, et se dirigeaient vers le grand lac Salé de l’Utah. Les uns vinrent à pied en traversant les