organisé, je fis un cliché d’essai ; toutes ces braves gens étaient émerveillés de la nature de l’instrument et du phénomène de la chambre noire. Le point obtenu, ils voulurent tous admirer sur la glace dépolie la reproduction renversée de l’image, et semblèrent frappés de stupeur ; le vieux curé surtout ne pouvait s’en rassasier.
Je laissai les Indiens à leur besogne, et, guidé par le sergent, accompagné par quelques soldats, j’allai visiter le cirque, que les naturels appellent la iglesia (l’église) ; les habitants avaient pris pour un temple inachevé ce qui n’était qu’un gymnase. Le doute à cet égard n’est point permis, et l’accord des voyageurs à lui donner cette destination en a fait une certitude. Les emblèmes qu’on y rencontre à chaque pas disent assez que les jeunes hommes de cette nation disparue venaient y lutter de vigueur, d’adresse et d’agilité : on y voit l’aigle, le serpent, le tigre, le renard, le hibou ; c’est dire le courage, la force, la prudence, la sagesse, etc. ; il ne reste de ce monument que le bas-relief des tigres, représentant des tigres deux à deux, séparés par un ornement de formes rondes meublé de petits cercles à l’intérieur (voy. p. 337). Le monument se composait autrefois de deux pyramides perpendiculaires et parallèles, d’un développement de cent dix mètres environ, avec plate-forme disposée pour les spectateurs. Aux extrémités, deux petits édifices semblables, sur une esplanade de six mètres, devaient servir aux juges, ou d’habitation aux gardiens du gymnase. Sur la pyramide de droite (regardant le nord), se trouvaient deux chambres dont la première est détruite ; elle devait avoir un portique soutenu par deux énormes colonnes dont les piédestaux existent encore.
La seconde, entière aujourd’hui, est couverte de peintures. Ce sont des guerriers et des prêtres, quelques-uns avec barbe noire et drapés dans de vastes tuniques, la tête ornée de coiffures diverses. Les couleurs employées sont le noir, le jaune, le rouge et le blanc. Ces deux salles forment l’intérieur du bas-relief des tigres. Dans le bas et en dehors du monument, se trouve la salle ruinée dont nous donnons les bas-reliefs, qui sont certainement ce qu’il y a de plus curieux à Chichen-Itza.
N’oublions pas que la pyramide de droite possède à l’intérieur, et enchâssé dans le mur, le fameux anneau qui servait au jeu de paume, et qu’a reproduit M. l’abbé Brasseur sur la couverture du remarquable ouvrage le Popol Vult, qu’il a récemment publié. Le palais des Nonnes est bien le monument le plus important de Chichen. Considérable dans son ensemble, sa façade n’a qu’une médiocre étendue, mais travaillée comme un coffret chinois, c’est le bijou de Chichen pour la richesse des sculptures. Nous la donnons page 345. La porte, surmontée de l’inscription du palais, offre en outre une ornementation de clochetons de pierres qui rappellent, comme ceux des coins de plusieurs édifices, la manière chinoise ou japonaise. Au-dessus, se trouve un magnifique médaillon représentant un chef la tête ceinte d’un diadème de plumes. Quant à la vaste frise qui entoure le palais, elle est composée d’une foule de têtes énormes représentant les idoles dont le nez est lui-même enrichi d’une figure parfaitement dessinée. Ces têtes sont séparées par des panneaux de mosaïque en croix, assez communs dans le Yucatan.
L’intérieur de l’édifice se compose de cinq pièces de grandeur égale dont la forme, commune à Palenque, ne varie jamais ; on la désigne en espagnol par le mot boveda, qui n’exprime aucunement cette architecture toute particulière ; boveda veut dire voûte, et ces intérieurs n’y ressemblent nullement ; ce sont deux murs parallèles jusqu’à une hauteur de trois mètres, obliquant alors l’un vers l’autre, et terminés par une dalle de trente centimètres.
Les linteaux des portes sont en pierre. Chichen n’offre que quelques rares échantillons de linteaux de bois, qu’on trouve partout à Uxmal. Le corps principal du palais des Nonnes, flanqué de deux ailes placées à distances inégales (nous donnons le dessin de l’aile gauche p. 344), s’appuie à une pyramide perpendiculaire, sur la plate forme de laquelle se trouve un édifice très-étudié, percé de petites pièces avec deux niches faisant face à la porte et traversé par un couloir qui, s’ouvrant à l’orient, va donner sur l’extrémité occidentale du palais. Ce second édifice est lui-même surmonté d’un autre plus petit, le total formant un palais de trois étages. On arrive à la première plate-forme par un escalier gigantesque fort rapide, composé de quarante à quarante-cinq marches. Il y avait là, quand j’y montai, tout un monde d’oiseaux, de serpents et d’iguanes, des cailles entre autres, dont l’une fut prise à la main, de beaux oiseaux verts et bleus, au cri plaintif s’harmonisant parfaitement à la solitude des ruines. Les iguanes couraient, sautant de branches en branches, et je ne pus en attraper aucune.
Le développement du palais et de la pyramide est d’environ soixante-quinze mètres. La pyramide avait été fouillée par Stephens, je suppose, mais il n’avait trouvé qu’une masse de mortier, de pierre, qu’il renonça à percer d’outre en outre, laissant béante une énorme excavation qui montre suffisamment l’excellence des matériaux et la solidité de l’ouvrage. Le bâtiment appelé la Carcel (la prison) par les indigènes, on n’a jamais su pourquoi, est un édifice parfaitement conservé, ainsi que le montre notre gravure (p. 349). Placé sur une pyramide peu élevée (de trois mètres environ), il se compose d’un seul corps de logis, avec trois portes au couchant, éclairant une galerie de la longueur du palais. Cette galerie est percée de trois salles qui ne prennent jour que par des portes intérieures correspondant aux portes du dehors ; nous n’avons jamais remarqué, dans les ruines du Yucatan, pas plus que dans celles de Mitla et de Palenque, un seul édifice à fenêtre. D’autres ruines s’offrent encore de tous côtés à la vue du voyageur. Ce sont le Caracol ou l’Escargot, bâti en manière de mur à limaçon, le château qui surmonte une pyramide de cent pieds au moins, puis un énorme bâtiment près des Nonnes, mais totalement dénué de sculptures ; des amoncellements de pierres taillées indiquent encore la place d’autres édifices ; le sol au loin en est couvert. Quant à l’hacienda de Chichen-Itza, ses bâtiments et ses chapelles, perdus dans le bois, attendent que les Indiens