de sa poche un rabat assez sale, me dit en me le montrant : « Amigo, voici mon arme, et vous verrez qu’elle en vaut bien une autre. » Il n’expliqua son stratagème, mit son rabat et attendit.
Je m’inquiétais peu des voleurs pour mon compte. Je n’avais rien à perdre. En sortant de Tecamachalco, deux ou trois milles au delà, nous vîmes un petit berger dans un champ, qui de loin nous faisait signe, en nous désignant le lit encaissé d’une rivière à sec. En effet, deux compères à cheval, la figure voilée par des mouchoirs à carreaux, enjoignirent au postillon d’arrêter, et aux voyageurs de descendre. Le respect de l’autorité me paraît être, en principe, une vertu ; aussi nous hâtâmes-nous d’obéir. Mais en voyant nos poches vides, ces gentilshommes de grande route jetèrent des cris de paon ; jamais l’indignation vertueuse d’un galant homme, arrêté dans la plus louable entreprise, n’égala celle de ces délicieux détrousseurs.
« On nous avait déjà volés ! » C’était indigne, cela ne s’était jamais fait ; ils n’en voulaient rien croire, et le conducteur lui-même fut obligé de donner sa parole d’honneur que le fait, tout extraordinaire qu’il fût, était exact. Il fallut se rejeter sur les bagages, chose assurément fort désagréable : le volume est gros, la valeur problématique, la vente difficile, enfin !
En ce moment l’un d’eux aperçut le cuello, le rabat de notre ami : sa figure rébarbative s’adoucit aussitôt d’un sourire. Je vois encore la scène. L’autre voleur était fourré sous la bâche de la voiture, se faisant ouvrir et visitant en toute sécurité les coffres qu’elle abritait.
« Ah ! padrecito (petit père), s’écria celui d’en bas, avez-vous aussi des bagages ? » Et comme son acolyte demandait en montrant une malette : « À qui cela ? — La mienne, répondit l’homme au rabat. — La vôtre, petit père ? répond le voleur. Hé ! la-haut ! laisse cette malle, mon ami : c’est celle du padrecito. »
Puis se retournant vers le padre de circonstance :
« Ah ! padrecito, lui dit-il nous ne sommes point des voleurs ; vous n’en croyez rien, n’est-ce pas ? Mais les temps sont si durs ! Nous avons des enfants à nourrir. Cher père, donnez-moi votre bénédiction, nous sommes d’honnêtes gens, je vous le jure. »
L’homme au rabat s’empressa de lui octroyer une faveur si humblement demandée et qui lui coûtait si peu.
La diligence repartit. « Le tour est joué, » me dit mon vis-à-vis. Pour moi, je ne pus qu’éclater de rire.
Ce respect du peuple et de la classe moyenne pour les padres est si tenace que, quoi que beaucoup de ces derniers fassent pour l’éloigner d’eux, par leur conduite et la publicité d’une vie scandaleuse, ils ne peuvent y parvenir. Chacun sait aussi bien que moi que le clergé mexicain n’offre pas le modèle de toutes les vertus.