Page:Le Tour du monde - 05.djvu/372

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Une partie de la bande s’avança ensuite vers les fourgons, fit descendre les voyageurs et les enchaîna. On voulut lier aussi Doy et son fils ; mais, devant leur ferme attitude, on y renonça. Seulement les ravisseurs déclarèrent que, pour n’être pas dénoncés et poursuivis, ils allaient les emmener avec eux jusqu’à Rialto-Ferry, et que là on les relâcherait, en leur restituant ce qui leur appartenait, et même en leur donnant de l’argent, s’ils voulaient l’accepter. Toute résistance était inutile : il fallut marcher.

Après quelque temps, Doy ayant détaché les liens de deux des hommes de couleur, en soutenant qu’ils étaient libres, ce nouvel acte d’énergie irrita les ravisseurs. Les uns déclarèrent qu’il fallait en finir et le tuer ; les autres, désireux seulement de se mettre à l’abri de toute poursuite, le firent remonter à cheval, et ayant réintégré des hommes de couleur dans les fourgons, se dirigèrent en toute hâte vers Leavemouth.

Bientôt la roue d’un des fourgons se brisa : on entassa tous les voyageurs dans l’autre, qui était celui de Doy, après avoir jeté à terre les vêtements et les provisions qu’il contenait. Doy réclama en vain contre l’abandon de tous ces objets qui lui appartenaient : on lui promit seulement d’envoyer quelqu’un pour les chercher, et tous les chevaux ayant été attelés au dernier fourgon, on repartit précipitamment.

À la nuit tombante, le timon de ce fourgon se cassa. On était encore à deux milles de Leavemoulh. Il fallut aller à la ville chercher une autre voiture. En l’attendrant, les ravisseurs conduisirent les prisonniers dans des buissons voisins de la route, les entourèrent, et menacèrent de tuer celui qui parlerait de manière à donner l’éveil aux passants. La nuit était très-froide ; ils restèrent dans cette situation jusqu’à minuit.

Une vue des environs de Weston, dans le Missouri. — Dessin de Guiaud d’après the geological Survey of Missouri.

Un fourgon de louage étant enfin arrivé, on laissa sur la prairie celui de Doy, qui fut perdu pour lui avec tout ce qu’il contenait. On atteignit Rialto-Ferry sans nouvel incident. Un feu de joie brûlait sur le rivage. Une troupe de Missouriens armés et à cheval semblait attendre le retour de l’expédition. Comme on avait promis aux trois blancs de ne pas les emmener plus loin, Doy refusa nettement de monter sur le bateau. On voulut l’y contraindre, et la scène aurait certainement pris un caractère extrême de violence, sans l’intervention de celui qui, au moment de l’arrestation, avait déjà offert cinq cents dollars au docteur, s’il consentait à les suivre de bonne volonté.

Ce personnage déclara qu’il était Benjamin Wood, maire de Weston, ce qui fut confirmé par plusieurs passagers ; il engagea Doy à céder, et lui promit, sur sa parole et sur son honneur, de lui donner une bonne chambre, de le bien traiter, et de lui rendre le lendemain matin sa liberté et tous ses effets. Cette assurance décida le docteur à s’embarquer avec son fils et Clough.

L’accueil qui l’attendait à Weston ne tarda pas à le désabuser. Une populace exaltée couvrait les quais ; le son des cloches, les coups de fusil et de pistolet se mêlaient aux cris et aux imprécations contre les hommes de couleur et les abolitionnistes. On entassa tous les prisonniers dans le fourgon, à l’exception du docteur, qu’on fit remonter à cheval ; puis les ravisseurs, escortant leur capture, parcoururent pendant une heure les rues de la ville.

« Sur nos pas, dit le docteur, les cris s’élevaient immenses, furieux ; la foule se pressait contre mon cheval et contre moi ; elle déchira l’habit que je portais ; les pans et les manches en furent mis en pièces, et les morceaux distribués dans la populace comme autant de reliques d’un abolitionniste vivant. Ainsi poussés, meurtris,