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prochant autant. En revanche, nous fûmes pendant la nuit attaqués par des hippopotames qui donnaient de furieux coups de tête dans la barque, et notre seul moyen de salut fut de nous laisser dériver vers une langue de terre où nous réussîmes à faire quelques feux, très-utiles au moins pour nous voir, tant la nuit était obscure.

Le 5, vers le soir, nous entrâmes dans le lac Nô, et peu après nous descendions entre deux rives pleines de roseaux le fleuve Blanc, qui nous conduisit jusqu’à l’embarcadère de Saubat, où nous trouvâmes le camp des troupes égyptiennes en bien piteux état, à cause de l’explosion de la poudrière qui en avait fait sauter la moitié, et des continuelles attaques qu’ils devaient subir de la part des Shelouck, sans pouvoir s’en venger, par le manque d’ordre de leur gouvernement.

Parti du Saubat, j’arrivai le 8 mars en vue d’un village nomme Duleb. Mais quand je voulus m’en approcher pour y faire quelques provisions, je fus averti par un Arabe qui y était établi, de me tenir sur mes gardes parce que les Schelouck avaient le projet de m’attaquer. Cela me contraria ; mais le petit nombre d’hommes armés dont je disposais ne me permettait pas de risquer une escarmouche.

Le 10, vers le soir, après avoir doublé, sans m’y arrêter, la grande bourgade de Denab, capitale des Schelouck, je trouvai à l’ancre la barque des frères Poncet, négociants savoyards qui s’en allaient à leur établissement, au Maeja des Noheri. Je mis ma barque bord à bord avec la leur, et je passai là une belle soirée.

Du 11 au 20 mars, les vents furent si contraires que nous avançâmes peu, et ce ne fut que le 21 que j’arrivai en vue de la montagne des Dinkas où force me fut de jeter l’ancre, devant l’impossibilité absolue de surmonter le vent qui s’obstinait à souffler furieux, et nous jetait à terre. Quelques heures plus tard, étant mouillé au milieu du fleuve, vis-à-vis de la même montagne, je fus appelé par le timonier qui observait depuis quelque temps des groupes de Dingas s’avançant en rampant parmi les herbes, de manière à faire craindre une attaque. Pour comble de malheur, un coup de vent rompant le câble de notre ancre nous poussait à terre, sans qu’il nous fût possible de nous arrêter encore. Les Dinkas s’apercevant de notre embarras, s’approchèrent sur la rive, en grand nombre, et nous montrèrent par leurs cris et leurs menaces qu’ils ne tarderaient pas à nous attaquer. Alors, ordonnant aux dix-huit mariniers de se mettre aux avirons, je me tins debout avec les seuls huit hommes armes que j’eusse sur la cabine de la daabia, et tout en faisant faire force de rames, j’ordonnai, bien qu’à contre-cœur, de tirer contre ces avides sauvages quelques coups de fusils chargés seulement de chevrotines qui heureusement, sans leur causer grand mal, suffirent à les éloigner jusqu’à ce que j’eusse réussi à reprendre mon ancrage au milieu du fleuve.

Le 22, je passai, vers le coucher du soleil, le fameux gué que l’on appelle Mohata-Abuzet. Le lendemain j’en traversai un autre connu sous le nom de Mohata-Anz ; mais ce dernier nous arrêta quelque temps, à cause des bancs de coquillages et du manque d’eau qui en rendent