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de là, un autre vapeur, le Moses Taylor, nous conduisit à la Havane et à Aspinwall, où nous prîmes le chemin de fer de Panama. La Sonora, steamer gigantesque du port de deux mille tonneaux, nous ouvrit ensuite ses larges cabines, et nous voyageâmes sur le Pacifique qu’un Parisien du bord croyait être la même mer que celle que nous venions de quitter. Nous visitâmes Acapulco sur la côte du Mexique et le 2 juin au matin, je descendais sur les quais de San Francisco. Muni de mon bagage, j’entrai dans une voiture de place qui me porta tout d’un trait à l’International hôtel, où étaient déjà installés une partie de mes compagnons de route.

Pendant le trajet que je fis, des quais à l’hôtel, la ville déroula à ma vue un panorama des plus animés et des plus curieux. C’était bien une ville américaine que j’avais sous les yeux ; les maisons, la plupart en bois et élégamment construites ; les rues larges, tracées en lignes droites et parallèles, de façon à imiter un damier par leurs points de croisement ; de vastes magasins ; d’immenses enseignes ; des voitures rapides foulant le pavé ; des omnibus prenant et rendant à chaque minute les citadins affairés ; presque partout une foule compacte et agitée, tout me rappelait les villes des États-Unis que je venais de visiter sur les bords de l’Atlantique. Mais en même temps le San Francisco des premiers jours, tel que nous le rêvons encore en France, montrait çà et là le bout de l’oreille. C’était une bicoque délabrée à côté de la plus somptueuse demeure ; un trottoir de bois, aux planches disjointes, par où le passant pouvait disparaître tout entier ; des rues non pavées en beaucoup d’endroits, et qui ne devaient qu’à la saison sèche, qui régnait alors, de ne pas se transformer en un véritable bourbier.

Banquiers chinois à San Francisco. — Dessin de G. Boulanger d’après une photographie.

Au milieu de ce mélange de luxe et de délabrement, conséquence inévitable de la hâte avec laquelle la ville a été édifiée, apparaissent les costumes les plus divers et les plus disparates. D’abord la population américaine en rangs pressés, comme il convient à des gens qui sont chez eux. Les Français, les Anglais, les Irlandais, les Allemands et les Italiens se mêlent aux Américains et se distinguent d’eux soit par le type, soit par le langage. Puis vient le mélange bizarre des Mexicains, ces maîtres dépossédés de la Californie, orgueilleusement drapés dans leur sarape ; des Chiliens couverts de leurs goncho aux vives couleurs ; des Chinois au bonnet rond et à la culotte de soie ; des Chinoises curieusement parées ; enfin des nègres, vêtus pour la plupart de guenilles ramassées au hasard, et qui passent en chantant et se dandinant par les rues. Çà et là apparaît la figure étrange d’un Indien, venu de l’intérieur se perdre dans la grande ville. Par son teint cuivré ou noirâtre, et les ornements qu’il affectionne, cet enfant du désert, ce des-