nelle de Debono à la porte de la mission, et l’ayant manqué deux fois de très-près, s’en allait comme un homme qui vient de remplir un devoir, quand il fut happé par les gens du Maltais et reçut cinquante coups de bâton. Il n’y avait rien à dire, et certes M. Debono se montrait bon prince en ne faisant pas fusiller ce maladroit.
Je reçus pour ma part une visite plus pacifique. Un grand nègre entra dans ma case, posa à terre son tabouret peint en rouge, complément obligé du costume bary, s’assit dessus et se mit à fumer.
« C’est Medi, » me dit le drogman. L’homme me regarda de ses yeux mi-clos, comme pour étudier l’effet de ce nom sur le maître du logis.
« Bien, dis-je. Mais qu’est-ce donc que Medi ?
— Medi, c’est le roi du pays, un grand guerrier ; c’est lui qui a tué Vaudey de sa main. Recevez-le poliment, car sans sa protection vous ne pourrez pas vous procurer seulement une poule ici.
— Et que veut-il ?
— De l’eau-de-vie.
— Dites-lui que je n’ai que faire des écornifleurs. J’ai besoin d’un mouton, et s’il m’en procure un, je le payerai, et Medi aura un plein verre d’ean-de-vie pour sa peine ; sinon, non. »
Medi reçut le compliment sans s’émouvoir, promit le mouton et continua à fumer. Un visiteur. m’arriva, et j’oubliai complétement Sa Majesté qui, au bout d’une demi-heure, voulut reprendre l’entretien :
« Et de l’eau-de-vie ?
— Tu n’es qu’un ivrogne ; je n’ai rien pour toi.
— C’est ainsi qu’on traite mata Medi ? Bonsoir. »
En sortant, il demanda encore de l’eau-de-vie au drogman, qui voulant le ménager, lui répondit que moi seul je pouvais en disposer, sans quoi il eût été heureux de lui en donner. Medi rejoignit les siens et résuma ainsi son opinion : « Le drogman est un homme comme il faut, mais le monsieur ne sait pas vivre. » Le soir, mon drogman ayant rencontré un Italien de ses amis se grisa comme un pacha à mes frais et proposa d’aller fusiller Medi pour venger Vaudey : propos d’ivrogne qui ne m’inquiéta point.
Medi était un franc coquin, passant les journées à courir d’une barque à l’autre, suivi de ses deux femmes dont la plus jeune était assez jolie, et il la faisait remarquer avec complaisance à ses bons amis, les fatiguant de ses prières et de ses menaces, et leur extorquant de l’eau-de-vie pour lui et des verroteries pour sa favorite. Il est vrai que son peuple ne valait pas mieux que lui. Quand on a lu le portrait certainement véridique que font de ce peuple brave et fier les visiteurs de 1840 et des années suivantes, on croit rêver en tombant à Gondokoro au milieu de ce troupeau de mendiants, d’ivrognes et de femmes dépravées.
J’insiste sur ce dernier point, car il constitue l’un de mes principaux griefs contre les négriers qui ont laissé des souvenirs si néfastes au fleuve Blanc ; ils ont encore plus dépravé peut-être que volé, tué et mendié. La négresse, à défaut d’éducation morale, m’a semblé avoir une certaine fierté personnelle capable de neutraliser un peu même de mauvais instincts. Je la crois supérieure sous ce rapport à la femme arabe et surtout à la Nubienne, femme libre s’il en fut au monde. Du moins, il y a sept ou huit ans, il en était ainsi, mais depuis, les marchands d’hommes y ont mis bon ordre. Ils ont largement exploité la hideuse misère qui décime les Barys, et quand j’arrivai à Gondokoro j’y fus le témoin forcé des plus lamentables spectacles. La barque de Debono, appelée, je crois, Zeit eu Nil (la crue du Nil), me fut signalée comme le théâtre de scènes honteuses à éviter. Je suivis le conseil, mais malgré moi, le soir, je dus subir le voisinage d’une orgie soudanienne, car une bamboula effrénée vint rugir et bondir devant la porte de la mission, à trente pas de ma case.
Tels sont les enseignements que les fils de Cham reçoivent des enfants réunis de Sem et de Japhet.
(La suite à une autre livraison.)