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Hopeless — nom de sinistre augure — est à cent cinquante milles environ au sud du camp de Cooper’s-Creek.

On quitta cette dernière station le 23 avril, après deux jours donnés au repos. Ici nous suivions le journal de King, le dernier survivant de l’expédition. Les pénibles incidents de cette dernière tentative, les efforts désespérés des voyageurs, la double catastrophe qui les termine et la résignation des victimes au moment suprême, y sont rapportés avec une simplicité qui ajoute encore à l’impression de ce triste récit[1].

Les provisions que l’on emportait de Cooper’s-Creek étaient loin de pouvoir les conduire jusqu’au terme présumé de leur course ; on comptait sur les hasards de la route. La saison, malheureusement, était déjà avancée ; on allait entrer dans l’hiver de ces provinces australes. De fâcheux accidents marquèrent le début du voyage. Un des deux chameaux s’embourba dans un terrain fangeux, à tel point qu’il fut impossible de l’en tirer et qu’il fallut l’abattre. Ce fut du moins pour quelques jours un supplément de provende. Bientôt après il fallut aussi se défaire du second chameau, qui refusait d’avancer davantage et allait rester sur la route. Ce fut un grand surcroît de fatigue pour les trois voyageurs, obligés désormais de se charger eux-mêmes des objets indispensables qu’ils portaient avec eux. Ils avançaient bien lentement dans un désert sans chemins et sans ressources ; plus d’une fois, acculés dans des impasses où les creeks allaient aboutir, il leur avait fallu revenir sur leurs pas. Leurs forces et leur courage se consumaient ainsi. Ils avaient rencontré de temps à autre de petites troupes d’Australiens qui leur avaient donné quelques poissons et un peu de nardou (la graine d’une plante qui végète sur le sol, une espèce de marcillea, que les sauvages réduisent en pâte), mais c’étaient là des ressources bien précaires. Réduits eux-mêmes à chercher péniblement une nourriture toujours incertaine, les indigènes ne sauraient être ni sociables ni hospitaliers.

M. King. — Dessin de Mettais d’après une gravure anglaise.

Un mois s’écoula ainsi, et rien n’annonçait que l’on approchât des établissements européens. Prévoyant qu’on pourrait leur envoyer du secours de Melbourne, et n’entrevoyant pas d’issue prochaine à ces courses sans but auxquelles ils semblaient condamnés, Burke chargea M. Wills de retourner au camp de Cooper’s-Creek pour y laisser une note écrite qui ferait connaître leur situation. Cette commission remplie (du 27 mai au 6 juin), Wills vint retrouver ses deux compagnons dont la position ne s’était pas améliorée. Trois semaines se passèrent encore en recherches infructueuses, — trois semaines dont chaque heure était une lutte horrible contre les angoisses de la maladie et les tortures de la faim. À ce degré de misère, la mort était une délivrance. Elle ne se fit pas attendre longtemps. Le 28 juin, M. Wills se sentit hors d’état de marcher davantage ; il se coucha sur la terre humide, et eut encore la force de tracer ces lignes dans son journal, dernière et faible plainte contre ceux qui à Cooper’s-Creek avaient abandonné leur poste :

« C’est du moins une grande consolation, dans la position où nous sommes, de savoir que nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, et que notre mort devra être imputée à d’autres plutôt qu’à nous-mêmes. Si nous avions souffert ailleurs, nous n’aurions pu en blâmer que nous ; mais nous étions revenus à Cooper’s-Creek, où nous devions nous attendre à trouver des provisions et des vêtements. Et nous allons mourir de faim, malgré les instructions expresses données par M. Burke à ceux qu’il avait laissés au dépôt pour y attendre notre retour, et aussi contre nos pressantes recommandations au comité (de Melbourne), d’envoyer derrière nous une part de Ménindie. »

Nous laissons maintenant la parole à M. King.

« M. Wills, voyant qu’il n’avait plus la force d’aller à la recherche du nardou (depuis longtemps à peu près leur seule ressource), nous demanda d’aller, M. Burke et moi, à la piste des indigènes, en lui laissant autant de provisions que j’en pourrais recueillir pour lui. Et de fait, c’est ce que nous avions de mieux à faire. Je laissai à M. Wills pour huit jours de farine, je plaçai à sa por-

  1. On a aussi retrouvé le journal de Wills. Il nous a particulièrement servi pour fixer les dates.