UN HIVER À ATHÈNES,
Le 4 novembre 1857, après un mois de séjour en Sicile, je m’embarquai à Messine sur le bateau des messageries impériales, le Carmel. Du cap Spartivento, dernier adieu de la terre italienne, à la côte de Grèce le navigation est de quarante-huit heures. Pendant ces deux jours le spectacle fut continuellement le même; la mer roula ses vagues uniformément, sans colère, et le gréement du navire fit entendre la même plainte. Pendant ces deux jours aussi la signora Julia, prima donna du théâtre Naoum, babilla de ce babil élégant qui caresse l’esprit sans le fatiguer.
Le 6, nous arrivions en vue du cap Matapan et de l’île de Cérigo : la terre classique nous apparaissait sous la forme de rochers sombres soutenant un sol nu et sans culture. Toute simple que fût la mise en scène, ce spectacle était grand et plein d’émotions sous la lueur du couchant, qui donnait à ces falaises une teinte sanglante; c’était bien la Grèce telle que je me la figurais, dévastée et épuisée par dix années d’une lutte héroïque, mais grand fut le désappointement autour de moi ; la signora soupira à la vue de cette Cythère si peu en harmonie avec l’idée que ses yeux, les plus beaux du monde, lui donnaient le droit de se faire du séjour de Vénus, et le visage de son Barnum se contracta piteusement.
« Un arbre ! hurlait en langue d’oc un commis voyageur, un arbre ! Voilà plus de dix ans que je fais l’Orient, et plus de vingt fois que je passe ici, je ne l’avais pas encore remarqué : j’en prends note. »
C’était en effet un arbre malingre et rabougri, demeuré là sans doute pour prouver, comme l’a dit le poëte, qu’alors que tout semble écroulé, il reste encore quelqu’un debout.