Page:Le Tour du monde - 05.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


L’Acropole. — L’architecture grecque. — Les monuments. — La sculpture. — Le Parthénon. — L’Érechthèon. — Le temple de la Victoire Aptère. — La Pinacothèque.

Le rocher de l’Acropole domine l’Athènes moderne de presque toute sa hauteur. On a beaucoup écrit sur l’Acropole, et il y a en effet, sur cet étroit rocher, un vaste champ pour l’observation ; l’ignorance la plus robuste y cède à l’émotion, et l’imagination la plus ardente sent ses aspirations plier devant ce calme du génie fort et puissant. C’est cependant d’hier seulement que la lumière s’est faite devant ce chef-d’œuvre de l’esprit humain ; et c’est un géomètre, M. Pennethorne, qui a expliqué mathématiquement le secret de cette beauté tranquille qui soulevait l’enthousiasme du poëte, sans qu’il pût s’en rendre compte. M. Pennethorne a mesuré les monuments grecs et découvert que, dans cette architecture comme dans la nature, toutes les lignes obéissent à une courbe et à une inclinaison. On peut donc affirmer aujourd’hui que les monuments grecs sont faits d’après nature, et que de l’harmonie parfaite de leurs lignes avec les lignes environnantes est née cette plénitude de caractère qu’aucun art n’a pu atteindre. D’après nature n’est pas, cependant, l’expression propre : l’art grec interprète la nature et achève l’œuvre divine, c’est-à-dire qu’il n’est pas indifférent que le monument soit dans la vallée ou sur la montagne, et que le Parthénon couronne et complète le rocher de l’Acropole, tout comme le fronton de Phidias couronne et complète le Parthénon. Il faut une longue étude pour comprendre la discrète simplicité de ces combinaisons, tant le résultat en semble naïf et facile.

On ne peut se faire aucune idée de l’art grec par les modèles que nous lui avons empruntés, pour plusieurs raisons : la première est que nous avons négligé cette essentielle mise en scène ; la seconde est que nous n’avons pas assez pris garde au mode de construction.

Le passage qui vous introduit dans l’enceinte murée de l’Acropole traverse deux voûtes sombres et débouche sur le palier des Propylées. Après quelques marches, vous êtes sur le plateau supérieur ; là s’élève le Parthénon.

Le temple présente son flanc éventré par la bombe tant de fois maudite du Génois Morosini, et découpe sur le ciel sa silhouette démantelée par lord Elgin. Malgré ces dévastations successives, malgré les mutilations qu’y ont faites les cultes chrétiens et musulmans, le colosse est encore debout, avec le plus grand nombre de ses colonnes doriques, largement assises, et les murs presque complets de l’opisthodome et du pronaos. Du côté de la façade, à quelques blessures près, on le croirait entier.

Tout à côté, à gauche, est l’Érechthéon, qui contenait les deux temples de Minerve Poliade et de Pandrose. Ce double édifice, chef-d’œuvre de l’ordonnance ionique, renfermait le flot et l’olivier sacré. Il fut converti, sous les empereurs, en église chrétienne, et servit sous les Turcs de harem. En 1846, la France l’a fait relever, et l’Angleterre y a remplacé par un moulage la cariatide qu’elle y avait dérobée. Au sujet de cet enlèvement, Buchon raconte l’anecdote suivante : « Les six cariatides qui portent l’entablement passaient, dans les croyances populaires, pour des êtres surnaturels. Après que l’une d’elles eut été arrachée de son socle, un sentiment d’indignation se manifesta dans le peuple ; on ne crut pas prudent d’enlever les autres pendant le jour, et on attendit la nuit. Au moment où les Turcs, chargés de la tâche, s’approchèrent du temple, le vent fit entendre un gémissement prolongé ; les Turcs crurent entendre la voix des statues et s’enfuirent effrayés, sans qu’on pût les décider à achever l’œuvre de destruction. »

Pour la description de ce monument, qui a soulevé bien des discussions archéologiques, je renvoie le lecteur au remarquable travail de M. Tétaz (Mémoire explicatif et justificatif de la restauration de l’Érechthéon, Revue archéologique, 1851), ou à l’analyse qu’en a faite M. Beulé dans son livre sur l’Acropole.

Derrière l’Erechthéon est l’endroit le plus escarpé du rocher : c’est là que s’élevait la statue en bronze de Minerve, haute de quatre-vingts pieds. De ce plateau, la vue embrasse un horizon immense.

En suivant l’enceinte septentrionale, on revient aux Propylées ; une partie des colonnes a été renversée par l’explosion d’un magasin à poudre ; mais les murs sont restés fermes et, mieux que partout ailleurs, on peut constater là l’étonnante précision avec laquelle les Grecs échafaudaient le marbre sans ciment. Les blocs énormes semblent superposés d’hier, et l’aspect mâle et sévère de cette construction de géant contraste singulièrement avec la délicatesse du petit temple de la Victoire Aptère, placé à sa droite. La façade de cette petite miniature est composée de quatre colonnes monolithes cannelées, surmontées de chapiteaux ioniques. La Société archéologique d’Athènes l’a fait relever d’après les plans publiés par Spon et Welher. On n’est pas d’accord sur l’origine de son nom Aptère (sans ailes). Selon les uns, il indiquerait que Thésée, revenant de Crète, n’avait pas envoyé avant son retour la nouvelle de sa victoire ; selon les autres, ce temple aurait été élevé à la Victoire qui ne devait plus s’envoler d’Athènes.

À la gauche des Propylées, en pendant à ce temple, est la Pinacothèque, destinée autrefois aux expositions de peinture, disposée aujourd’hui en musée d’antiques.

La seule nomenclature des statues, métopes, hauts et bas-reliefs, bustes, camées, vases, épigraphes, mosaïques, terres cuites, verres, bronzes, rangés dans la Pinacothèque, entassés dans le temple de Thésée, épars partout, nécessiterait des volumes. On peut, en se promenant au milieu de tous ces débris, suivre l’art grec à travers tous ses ages depuis l’époque éginétique, si sobre et si peu prodigue, jusqu’à l’époque romaine, qui supplée à la qualité par la quantité. Cette étude est des plus intéressantes, et sera des plus complètes à Athènes quand l’ordre sera mis en tout cela, et surtout quand l’archéologie sera débarrassée du pédantisme et des systèmes de certains archéologues. Les différentes époques de la statuaire sont autant de périodes nettes et précises de la condition morale des Grecs : on suit pas à pas toutes les