freux : là, il bat son grain à jour fixe et par ordre ; puis il doit graisser la patte au magasinier et au percepteur, sous peine de vexations ; enfin, il retourne chez lui ayant fait une perte considérable de temps et souvent une perte totale de bénéfices : alors il emprunte à un taux exorbitant (quinze, vingt et même trente pour cent), et finit quelquefois dans la prison pour dettes.
On peut se faire une idée de la fertilité du pays par le rendement du froment, quarante pour un, et de l’incurie du gouvernement par la place qu’occupent encore les marais insalubres. Il serait cependant facile, d’une même opération, d’assainir les endroits mouillés et de fertiliser les plaines desséchées.
Faute d’industrie, les objets manufacturés viennent de l’extérieur, malgré les droits de douane, et le chiffre des importations, quarante-neuf millions neuf cent soixante-deux mille trois cent dix-sept drachmes, n’est nullement en rapport avec celui des exportations, vingt-cinq millions huit cent quatre-vingt-huit mille deux cent quarante-sept drachmes : ces dernières, pour la plus grande part, se composent de matières premières (raisins secs, vallonnée, miel, vins, tabac, huile d’olives, soies gréges).
Au milieu de ces embarras, toutes les forces de la nation se rejettent sur le commerce maritime : le royaume compte deux mille sept cents marins et quatre mille navires jaugeant deux cent soixante-dix-sept mille cent vingt-deux tonnes.
La renaissance de la marine grecque date de la fin du siècle dernier. Ce sont les petites îles d’Hydra et de Spetzia qui, les premières, ont donné l’exemple de cette activité surprenante que déploient les Grecs dans la Méditerranée. La Porte recrutait là ses meilleurs marins, — malgré le Koran qui défend de confier la défense du trône à des mécréants. De retour dans leurs foyers, ceux-ci, jetés sur un sol ingrat, n’avaient d’autres ressources que de s’embarquer pour le compte de la république de Venise, ou de faire, dans de frêles embarcations, un cabotage peu lucratif, restreint par la piraterie barbaresque.
Quand le monopole des comptoirs du Levant passa des mains des Vénitiens dans celles des Français, le grand maître de Malte vit dans les marins grecs de redoutables concurrents pour les nouveaux venus, et leur offrit, par l’entremise du vicaire de Mycone, de les patenter. Les Hydriotes et les Spetziotes acceptèrent et se mirent à construire un grand nombre de navires appelés saccolèves, d’un faible tonnage, mais d’une marche assez rapide pour ne pas craindre les corsaires. Vinrent les disettes d’Espagne et de Portugal, puis la Révolution française qui, paralysant le commerce de Marseille, laissa le champ libre aux Grecs, et fit affluer chez eux les capitaux inactifs du Levant. Le blocus continental mit le comble à leur fortune, et la prospérité de ces deux îles et de leur voisine Ipsara devint telle, qu’au moment de la guerre de 1821 ces trois ports comptaient plus de trois cents navires qu’on put armer en guerre, et que dix familles d’Hydra purent souscrire pour une somme de cinq millions de francs ; la seule famille Condouriottis, pour un million cinq cent mille francs.
Dans ces îles, l’armement se faisait, et se fait encore dans toute la Grèce, d’après un système d’association où capital et travail partagent au même titre dans les bénéfices : on l’appelle armement à la part.
En 1850, l’Angleterre, effrayée de la concurrence redoutable que lui faisait la marine grecque dans les eaux du Levant, envoya, sous quelque prétexte, l’amiral Parker mouiller devant le Pirée. Elle demanda, pour dommages éprouvés par des sujets anglais, une indemnité qui ne se montait pas à moins de quatre-vingt mille drachmes, de plus la cession des îles Sapienza. Sur le refus du gouvernement grec, le blocus fut déclaré. La France en obtint la levée moyennant une indemnité de trente-trois mille drachmes. L’Angleterre avait en partie atteint son but ; la capture de deux cents navires, qui ne furent jamais rendus, avait porté au commerce grec un coup dont il n’est pas encore remis.
Le génie commercial des Grecs ne s’en est pas tenu au littoral de la Méditerranée ; il a envahi le monde entier : on trouve les marins grecs partout, à Londres, à Manchester, à Liverpool, jusque dans l’Inde. Nulle part ils n’oublient la mère patrie, et chaque jour Athènes se voit dotée d’un monument qui lui arrive de Vienne, de Pétersbourg, de Londres ou de Calcutta.
J’ai dit que le ministre de l’instruction publique rendait de grands services par l’impulsion donnée à l’université d’Athènes ; il en rend de tout aussi importants par la protection accordée aux beaux-arts ; malheureusement les fonds alloués sont insuffisants. L’école des beaux-arts, due à la générosité d’un particulier, ne peut, faute d’argent, envoyer à Paris ses lauréats.
Il n’est pas d’un mince intérêt cependant que l’on aide au développement de ces facultés artistiques que les Grecs possèdent instinctivement au plus haut degré. Les bergers sculptent des houlettes, les paysannes brodent des étoffes qui dénotent le sentiment du beau, même chez les plus humbles. Un régiment de fantassins de moins, un régiment de sculpteurs de plus, ce serait là une conquête facile dont pourrait s’enorgueillir la Grèce régénérée.
L’une des questions qui préoccupent le plus les modernes Athéniens, est la question philologique. Le grec moderne est-il une langue nouvelle ? est-il l’ancienne langue populaire altérée ? Comme tous les idiomes, il a subi de fréquentes modifications dans les mots, la prononciation, la syntaxe et l’écriture (principalement celle-ci : suppression des formes antiques de la conjugaison et de la déclinaison, addition de mots étrangers), comme tous les idiomes aussi, il est le produit du génie populaire, la parole née des habitudes de chaque jour ; mais