Page:Le Tour du monde - 06.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venait ensuite, car il y a toujours un chef à chaque troupeau ; derrière leur capitaine, cinq cents rennes s’avançaient gravement quatre de front sur chaque rang ; enfin, venait le gouverneur sur la route battue et relativement facile. L’indemnité que lui demanda le Lapon pour lui avoir ouvert cette voie sur une étendue de neuf lieues, fut d’environ six francs.

Après avoir perdu de vue la caravane qui allait chercher la fraîcheur dans des régions plus élevées, nous remontâmes le fleuve et une de ses chutes jusque dans les environs de Jockmock, où nous arrivâmes après une heure de marche. Dans ce hameau réside le pasteur du canton ainsi que deux ou trois petits marchands. Deux fois l’année on y tient foire et les Lapons s’y rassemblent pour échanger leurs produits. Le presbytère n’avait à nous offrir qu’une hospitalité bien modeste il est vrai, mais touchante par sa simplicité même. Le pasteur, M. Vesterlund, habite Jockmeck depuis trente ans. Avec son revenu annuel de 1 500 francs il est parvenu à élever dix-sept enfants qui sont tous vigoureux. Un de ses fils est ecclésiastique, deux sont maîtres d’école, un autre colon.

Berceau lapon.

Les filles, fort jolies blondes, aident leur mère aux travaux du ménage ; ce sont elles qui brassent la bière, fument et salent le renne et le saumon, filent les tissus de lin et de laine qui servent à l’habillement de toute la famille. Une d’elles part chaque automne avec quatre ou cinq petits frères qu’elle accompagne au lycée de Pitea, où ils font leurs études, pour tenir leur ménage et les soigner. Elle les ramène aux vacances. Ces voyages se font à pied et durent une huitaine de jours, dans des conditions bien pénibles, car ces enfants n’ont ni guides, ni logis, ni bateaux commandés à l’avance ; ils sont souvent obligés de coucher à la belle étoile, et les provisions qu’ils ont emportées sont en grand danger de ne pas leur suffire.


La rivière des perles. — L’île de Björkholmen. — Curiosité et mémoire des Lapons. Njawivi. — Parrain malgré moi. — Le lac de Quockjock. — L’histoire de Lisa Maria. — Le Wallaberg. — Remède contre les piqûres des moustiques. — Retour.

Notre photographe, épuisé de fatigue, se reposa dans le presbytère de Jockmock pendant la nouvelle course que nous entreprîmes jusqu’à Quockjock, situé à environ soixante lieues plus haut. Le moral du pauvre artiste était fort abattu, et ses instruments, disloqués par les secousses continuelles auxquelles ils avaient été exposés pendant leur transport, ne fonctionnaient plus que bien imparfaitement. Le pasteur désira se joindre à nous pour faire une de ses tournées semestrielles dans la partie de son diocèse que nous allions traverser. Le cercle de sa paroisse s’étend sur un rayon de soixante lieues à la ronde ; le vénérable ecclésiastique, malgré son pied bot, avait fort à faire. Nous marchâmes pendant la moitié de la journée jusqu’à Saskam et ensuite nous traversâmes successivement les lacs solitaires de Purkia et de Randijaner. De loin nous apercevions le glacier de Harevarto. Le paysage est melancolique ; les montagnes, peu élevées, sont couvertes de forêts de sapins d’une couleur sombre, dont la monotonie n’est interrompue que çà et là par de larges taches rougeâtres qui souvent coupent la côte de haut en bas dans toute sa hauteur ; ce sont les traces d’incendies dont on accuse le soleil même : ses rayons embrasent, dit-on, des parcelles d’anciens arbres séculaires passés à l’état d’amadou. Le peu de valeur des bois et la rareté des habitants sont cause qu’on ne s’inquiète pas beaucoup de ces feux immenses qui durent quelquefois pendant des semaines entières. On est habitué à les laisser s’éteindre peu à peu d’eux-mêmes.

Björkholmen.

Nous couchâmes dans nos tentes, au bord du Parkijaver, non loin de la Silbo que l’on appelle aussi « rivière des perles » à cause des perles que produisent ses coquillages et que pêchent quelques pauvres Lapons sans troupeaux. Cette industrie est pénible. Le pêcheur plonge dans l’eau glacée jusqu’à mi-corps et enlève les huîtres au moyen d’une pince fixée à une longue perche. Il est souvent obligé d’en ouvrir des centaines avant de trouver une petite perle. Nous en achetâmes de fort belles, rivalisant de blancheur avec leurs sœurs d’Orient ; les plus grosses, qu’on nous vendait de 8 à 10 francs sur place, ont été estimées à Paris 150 à 200 francs. Les petits marchands de Jockmock spéculent sur cette pêche, et revendent les perles à Luleå, d’où elles passent successivement entre les mains des négociants des villes de la côte, augmen-