Page:Le Tour du monde - 06.djvu/144

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ainsi emporté, et il y en d’autres où on aimerait mieux être tranquillement chez soi assis au coin de son feu dans un bon fauteuil.

Nous nous étions fait une voile avec une couverture de laine fixée à l’avant du bateau. Vers la nuit nous arrivâmes à Björkholmen. Notre hôte insulaire nous donna, comme à notre première visite, de la paille et des draps. Ces couches nous parurent d’abord sinon voluptueuses, du moins meilleures que celles dont il avait fallu nous contenter sous les tentes ; mais une armée innombrable de mousquites se précipita sur nous, et nous tint en éveil malgré les sacs de tulle où nous avions caché nos têtes et nos mains. Il nous arriva plus d’une fois, à sir Arthur et à moi, étendus sur la même paille, de nous assener mutuellement de formidables coups de poing destinés à nos insaisissables ennemis : ce fut une nuit horrible ! Notre hôte nous consola le lendemain en nous promettant de nous confier un moyen sûr de nous mettre. désormais à l’abri des piqûres de ces ennemis nocturnes. Il apporta un vilain pot de terre et en sortit un pinceau noir ; puis il enduisit nos visages d’une couche d’huile de goudron ; c’était là son remède souverain contre le sesky et le mekara, jolis noms donnés en ce pays du Nord à ces enragés mousquites. L’odeur du goudron était telle que je me surpris plusieurs fois à faire les essais les plus ridicules pour me fuir moi-même ; heureusement on s’habitue à tout, ou du moins à beaucoup d’assez mauvaises choses, et j’avoue que, dans la suite, je trouvai ce singulier préservatif réellement préférable au voile de tulle qui gêne la respiration et échauffe le teint.

On nous montra, comme une rare curiosité, un renne dressé à tirer une voiture à roues.

Avant de partir, nous achetâmes des chaussures laponnes qui devaient faciliter notre marche sur les terrains difficiles que nous avions encore à parcourir. Ce sont de vastes bottes qu’on a soin de doubler à l’intérieur de foin très-fin ; elles sont de peau de renne et sans semelles.

Le fleuve Luleå.

Nous suivîmes en sens inverse l’itinéraire que nous avions pris pour venir à Quockjock. Au presbytère de Jockmock, nous retrouvâmes notre photographe qui parut fort aise de nous revoir. Le pauvre homme n’avait pas même goûté au vin que nous lui avions laissé pour se fortifier pendant notre absence ; il ne se trouvait pas de tire-bouchons dans la contrée, et l’innocent artiste n’avait pas eu l’idée de casser le cou aux lagènes. De plus, la cuisine de Jockmock n’avait eu pour lui aucun attrait ; les demoiselles de la maison avaient, en vain, pour le fêter, épuisé tout leur répertoire culinaire, confectionnant un jour quelque poudding, un autre jour un quartier de renne ou bien un saumon, toujours, il est vrai, avec assaisonnement de groseilles et framboises sauvages : le pauvre homme, bien reconnaissant, avait avalé le tout en silence et le sourire sur les lèvres, mais avec un secret désespoir de palais et d’estomac.

Après une journée de repos chez notre excellent pasteur où nous remplaçâmes le poudding national par le produit de notre pêche et de notre chasse, nous nous remîmes en route par Luleå qui nous parut une capitale luxueuse en comparaison des deux ou trois seuls pauvres villages que nous avions vus en Laponie.

Saint-Blaize.