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Louis en a voulu faire une Athènes allemande, quoique les Phidias et les Raphaël n’y courussent pas les rues.

Parlons d’abord de la ville ; nous viendrons ensuite au roi.

Comme le clergé doit regretter le moyen âge ! En ce bienheureux temps un tiers du territoire allemand était domaine d’Église. En Bavière, Augsbourg, Passau, Freising appartenaient à leur évêque, avec d’immenses terres tout autour, et il ne restait aux ducs d’autre ville importante que la vieille cité de Ratisbonne. Ils y résidaient, assez embarrassés d’y bien vivre, attendu la pauvreté de leurs revenus. Un des meilleurs, alors, était celui qu’on tirait des péages. Par la Bavière passaient toutes les denrées que Venise allait chercher en Orient et que ses marchands conduisaient à Inspruck pour les répandre de là en Allemagne. Par elle passait aussi tout le sel tiré des inépuisables mines du Salzbourg pour la Souabe et la Franconie. Or, les routes d’Inspruck et de Salzbourg à Augsbourg et à Ratisbonne se croisaient sur l’Isar. Mais en quel point ?

L’évêque de Freising voulait que ce point fût chez lui, à Vöhring. Il y bâtit un pont ; il y établit un marché et un hôtel des monnaies, où les marchands échangeaient leurs pièces étrangères contre celles du pays en laissant, bien entendu, chaque fois au monnayeur, comme au péager, pas mal d’écus que l’évêque trouvait excellents quel que fût leur titre.

Notre-Dame de Bon-Secours, à Munich.

Le duc se désolait de voir cette bonne aubaine tomber aux mains de l’Église, et, chef du pays, il n’osait pas trop user d’une ressource alors fort employée, rançonner ou piller les marchands sur la route. Il imagina de faire concurrence à l’évêque : il jeta un pont, un peu plus haut sur l’Isar, en un endroit où l’on trouve encore des restes de constructions et de sépultures romaines. Des moines y avaient déjà un couvent, ce qui faisait appeler le lieu Monachium[1]. Il y établit un bureau de change et un marché. Mais on ne sait à quelle époque ni sous quel duc cela se passait.

Au milieu du douzième siècle la couronne ducale était sur la tête d’un des plus puissants princes du temps et un des moins endurants, Henri le Lion, duc de Bavière, de Saxe et de Toscane. Il avait de grands besoins ; il se dit que son trésor se remplirait bien plus vite si le pont de Vöhring n’existait plus, et un beau jour il s’en alla le brûler. L’évêque était l’oncle de l’empereur ; on écouta ses réclamations, et il intervint une sentence arbitrale qui laissa au fond de l’eau le pont de l’évêque, mais attribua à celui-ci un tiers des revenus du pont ducal. Ce jugement est de l’année 1158, et c’est le plus ancien document où se trouve le nom de Munich désignant un lieu habité. Le duc y perdit quelque argent, mais Munich y gagna de rester seul en possession du passage. Son pont et son marché attirèrent le commerce, et le village devint un gros bourg.

Voilà donc l’Athènes moderne, puisqu’il faut, dit-on, la nommer ainsi, qui naquit d’une querelle entre un duc et un évêque, comme l’autre, la véritable, était née d’une querelle entre deux divinités, Neptune et Minerve. C’est

  1. Monachium, d’où nous avons fait Munich, comme les Allemands ont fait Munchen de Monche, qui signifie moines. Wesseling