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triste, sans élégance ni grandeur. Je vois bien là beaucoup de métal, je n’y vois point d’art. Ne m’accusez pas de sévérité injuste et raisonnons un peu : la raison est un des éléments essentiels de l’art.

Pourquoi les obélisques des Pharaons nous plaisent ils ? Ce n’est pas, assurément, par leur forme plate et pointue. Une aiguille de rocher au flanc d’un mont et le pin le plus laid sont cent fois plus beaux. Mais il s’y attache une pensée qui plaît à notre orgueil d’homme, le souvenir des efforts immenses qu’il a fallu faire pour que cette masse énorme, d’un seul morceau, que la nature avait cachée dans les entrailles de la montagne, en fût arrachée, traînée à travers la plaine et dressée debout à la porte du sanctuaire, pour que ce granit qui use l’acier fût taillé, poli, chargé de figures.

Ajoutez les quarante siècles qui de là-haut nous contemplent et ces images de grandeurs écroulées, de civilisation éteinte, de religion détruite que l’esprit évoque autour de cette pierre, et vous comprendrez pourquoi en passant près d’elle nous sommes remués profondément.

En architecture l’esprit ne s’arrête pas à la forme seule ; il s’occupe aussi de la matière qui rend cette forme solide et durable. Un peu de toile porte un chef-d’œuvre, je ne m’en effraye pas. Mais si vous me dites qu’un portique est fait de poutrelles et de plâtras, je tremble que les unes ne pourrissent et que les autres ne tombent sur ma tête.

Quand je m’aperçus que toutes les colonnes de Londres étaient de la brique revêtue d’un enduit de plâtre, je ne pus en regarder davantage. Quand je trouvai sur l’église de Notre-Dame, à Rouen, au lieu d’une flèche en dentelle de pierre, des barres de fer tranquillement fondues dans une prosaïque usine, je courus bien vite à Saint-Ouen, laissant l’industrie pour l’art. L’obélisque de Munich a produit sur moi le même effet. Un chaudronnier a pu clouer toutes ces plaques de cuivre l’une à l’autre.

L’obélisque, à Munich.

Il est consacré à la mémoire de trente mille Bavarois morts en 1812 dans l’expédition de Russie. C’était le contingent de la Bavière : il resta tout entier sous la neige. L’inscription ajoute : « Eux aussi ils sont tombés pour la délivrance de la patrie ! »

Les pauvres diables ne s’en doutaient guère, et s’ils ont délivré leur patrie, c’est bien à leur insu. Je ne vois pas trop quelle bonne pensée cette inscription peut susciter dans l’âme du peuple : si ce n’est, avec le souvenir des inconvénients de la dépendance autrefois acceptée, la leçon à tirer de là que les Bavarois ne doivent servir que la Bavière. À entendre ce qu’on dit dans certaine région de Munich, on serait tenté de croire que le successeur du roi Max aura aussi un obélisque à élever aux Bavarois morts dans les Alpes ou sur les bords du Mincio, pour une cause qui leur est étrangère.


XVI

SUITE DE MUNICH.

La sculpture et la peinture ; la Glyptothèque et les marbres d’Egine. — La peinture ; la Pinacothèque ; Albert Durer et Rubens. — Les fresques. — Faut-il des fresques à Munich, et l’architecture est-elle la servante de la peinture ? — Munich, une des capitales du nouvel art chrétien. — Origine de cette renaissance catholique.

Je n’ai pas, jusqu’à présent, parlé de deux édifices fameux, moins par eux-mêmes que par ce qu’ils renferment : la Pinacothèque ou galerie de tableaux, et la Glyptothèque ou musée de sculpture. L’un est

    deux cent soixante-dix. M. Marmier, l’aimable touriste, qui est allé partout et qui de tout parle si bien, n’a sans doute pas fait lui-même l’ascension de la Bavaria, car il dit, p. 113 de son Voyage en Allemagne : « On monte jusque dans l’intérieur de son crâne. Dans cette profonde cavité est un banc sur lequel peuvent s’asseoir à la fois vingt personnes. »